Amélie : naissance d'Alban

Nous sommes le 8 mai. Ce dimanche, je me sens très fatiguée. J'ai très mal dormi. A midi, je n'ai pas envie de déjeuner. Je demande à Jean Pierre de s'occuper d'Eva, de la faire déjeuner. Je pars donc me recoucher. Je vais faire une sieste de 3 heures. Quel bonheur, je suis en forme. Après avoir joué dans le jardin, je m'occupe d'Eva le soir, lui donne son bain et son dîner. Nous faisons de gros câlins puis elle s'endort sagement, comme à son habitude. Vers 22h, je décide d'aller me faire couler un bon bain avec des huiles essentielles pour me détendre. En me déshabillant, je trouve mon ventre particulièrement impressionnant. J'ai envie que Jean-Pierre l'immortalise. Nous allons faire quelques photos nue. Nous rions beaucoup. Je joue à la femme sensuelle avec mon gros bidon. Et hop, dans le bain chaud avec la cassette audio que la sage femme m'a enregistrée pour faire des séances de sophrologie tous les jours. Le week-end s'achève et Alban se trouve toujours placé très haut près de mon cœur. J'ai pourtant passé beaucoup de temps ces derniers jours à l'inviter en bas de mon ventre avec mes mains et ma respiration pour lui montrer que cette partie de mon corps est accueillante et remplie d'amour. La DPA du 23 mai s'approche et les paroles de mon gynéco qui ne veut pas que je dépasse ce terme m'obsèdent.

Nous sommes le 9 mai. Comme j'ai bien dormi ! Je me trouve d'humeur joyeuse. Jean-Pierre descend préparer le biberon d'Eva. Pendant qu'il prend sa douche, je donne le biberon à ma fille chérie qui le boit d'une traite, toute blottie contre sa maman (elle refuse de tenir elle-même son bib bien qu'elle ait 2 ans et 2 mois). Puis nous descendons prendre notre petit déjeuner. Jean-Pierre a tout préparé. Quel amour ! Nous discutons tranquillement et soudain je sens quelque chose de particulier comme une grosse bulle qui vient d'éclater. Je suis à l'écoute du moindre signe que mon corps veut bien me donner pour comprendre ce qui se passe. Puis, je souris et je dis à Jean-Pierre que nous allons bientôt voir notre petit Alban. Il se demande comment je peux le savoir. Facile ! Ca coule entre mes jambes. Il met une serpillière sous ma chaise pour que je finisse de prendre mon petit déjeuner. Pendant ce temps, il prépare le sac d'Eva afin qu'elle reste dormir chez sa nounou. Il hésite à me laisser mais il finit par partir au travail après avoir été rassuré.

Je téléphone à Geneviève qui va nous accompagner durant cette grande aventure. Nous convenons que je la rappelle dès que les contractions se rapprochent ou dès que j'ai besoin de soutien. Comme c'est rassurant. Son expérience de femme (elle a donné la vie à 6 enfants) enlève toute inquiétude que je pouvais avoir. Je me sens confiante.

La matinée passe rapidement. Les contractions sont présentes mais tout à fait supportables et peu rapprochées. J'en profite pour prendre une bonne douche et me faire toute belle pour l'arrivée de ce petit ange. Je me connecte aussi sur « Césarine ». Je les préviens du début du travail. C'est amusant de discuter avec plusieurs personnes des ressentis en temps réel. Emmanuelle est très présente sur la liste (elle est malade et au chaud chez elle). Nous poursuivons nos échanges sur MSN ; je réponds à ses questions, ce qui focalise mon attention sur autre chose que les contractions qui sont de plus en plus fortes. Il me faut maintenant mettre en place des positions, des respirations et des visualisations pour les supporter. Je mets un CD de relaxation qui facilite l'ouverture des chakkras. Je l'écoute en boucle toute la matinée. Je visualise l'ouverture de mon plexus qui laisse passer une forte lumière. Lors de mes inspirations, je prononce « JE » et à l'expiration, je prononce « T'AIME » lentement en touchant mon ventre pour bien montrer à mon bébé que je l'attends et que je l'aime.

Il est 13h, Jean-Pierre arrive. Il va déjeuner seul, je n'ai pas envie de manger. J'appelle ma doula pour qu'elle vienne tranquillement vers 14h. A son arrivée, les contractions commencent à être difficilement supportables. Je n'arrive plus à prononcer je t'aime lors de mes respirations. Geneviève me propose de dire « OUI » à l'expiration mais c'est très difficile. Le fait qu'elle prononce ces oui m'aide à la suivre. Je suis sa voix pendant que je me pends au cou de Jean-Pierre. Heureusement que j'ai choisi un mari bien plus grand que moi (est-ce un hasard ?). J'ai l'impression que cette position libère mon bassin et diminue la douleur. Il fait beau et bon aujourd'hui, je décide de poursuivre dans le jardin. La végétation est magnifique, les rosiers en fleurs et le tilleul est immense, il semble aller jusqu'au ciel. Et les oiseaux chantent, je suis sensible à cette jolie mélodie. Geneviève me propose de marcher car ça accélère le travail. Jean-Pierre est à ma gauche et Geneviève à ma droite, ils me soutiennent à chaque contraction. Le temps passe vite et pourtant je n'ai plus aucune notion du temps. J'ai l'impression d'être dans un autre espace temps. Tout ce qui m'entoure n'existe plus. Je suis dans un autre monde. Je décide de rentrer à la maison, je suis fatiguée et je souhaite m'allonger pour me reposer. Mais les douleurs sont trop intenses et la position allongée sur le coté ou sur le dos est insupportable. Je sens que la rencontre avec Alban se rapproche. Je demande à JP de me préparer un thé avec quelques biscottes. J'ai besoin de force et de sucre rapide. Vive le Nutella ! J'en mange avec plaisir . Mais il m'est difficile de le faire car les contractions m'interrompent et je me pends à chaque instant au cou de Jean-Pierre. Je pense que c'est le moment d'aller à la maternité, il est plus de 17h. Les 5 minutes de voiture me semblent longues. Devant la clinique, un brancardier se trouve malheureusement sur mon passage et me propose de me monter jusqu'au service maternité. Je refuse son offre et préfère marcher mais il insiste. Je ne suis pas en état de négocier. Je me laisse faire. Et là, je sens que je vais subir les protocoles de la clinique, ça m'inquiète. Je suis tellement mal dans cette chaise roulante, les contractions sont insupportables, je regrette les bras de Jean-Pierre. Dans le service maternité, on me place dans la salle de naissance, sur une table, allongée sur le dos. Je demande à me lever mais c'est impossible, la sage femme veut m'examiner. Je suis à peine à un centimètre. C'est le tout début du travail nous dit elle, vous avez le temps. Cette nouvelle me déçoit, moi qui croyait arriver avec une dilatation bien plus importante. Arriver à la maternité rien que pour l'expulsion aurait été mon rêve. Un moment de panique s'empare de moi. Je vais demander la péridurale, je ne pourrai attendre ainsi, couchée sur le dos, pendant des heures. Pendant ce temps, Jean-Pierre remet le dossier médical à la sage femme qui n'est pas aimable du tout, à peine polie. Elle me pose des questions mais j'ai du mal à lui répondre. Je n'arrive pas à me concentrer sur ce qu'on me dit. La sage femme a également trouvé le projet de naissance d'Alban que nous avions rédigé. Elle ne semble pas très contente ("ce papier n'est pas valable, vous ne l'avez pas signé !") mais Jean-Pierre lui explique que nous ne cherchons pas à aller à l'encontre des avis médicaux, et il fera en sorte, tout au long de l'accouchement, que mes désirs soient respectés. Geneviève n'a pu rentrer dans la salle d'accouchement (un seul accompagnateur est autorisé), Jean-Pierre tentera de négocier sa présence à mes côtés. La sage femme me propose soit de rester en chambre de pré-travail avec un calmant (et un seul accompagnateur), soit d'aller dans une chambre plus éloignée où elle autorisera deux accompagnateurs (sans calmant). En clair, c'est la doula ou le calmant. Jean-Pierre est assez choqué de ce comportement. Il insiste et finalement, j'aurai la doula et une piqûre dans la cuisse droite pour atténuer la douleur (mais je n'ai pas l'impression que la douleur soit plus faible et j'ai plutôt envie de dormir). Jean-Pierre et Geneviève sont de chaque coté du lit. A chaque contraction, je peux me suspendre à leur épaule. Bien que je crie de toutes mes forces à chaque contraction, libérer mon bassin en le soulevant est un soulagement. Mais je dérange, je fais trop de bruit. Les sages femmes qui s'occupent de deux autres mamans viennent me conseiller de transformer mes cris en un souffle, une respiration longue. C'est impossible, elles peuvent dire ce qu'elles veulent, je ne peux pas m'en empêcher. Une horloge est en face de mon lit. A chaque fois que je la regarde, une demi-heure s'est écoulée alors que j'ai l'impression de l'avoir regardée une minute auparavant.

A 19h, Jean-Pierre, inquiet, demande à la sage femme si je peux avoir la péridurale. Elle lui répond que c'est bien trop tôt, que nous ne sommes qu'au début du travail. Pourtant les contractions sont d'une force terrible. Je ne maîtrise plus rien. J'ai la sensation que mon corps tout entier fait des bonds à chaque contraction. Il me semble que la sage femme vient faire un toucher vaginal toutes les minutes. Mon col s'ouvre comme un bouton de rose, que je visualise à une vitesse accélérée. Les mots de Geneviève m'aident, son oui m'aide à accepter cette douleur. Je ne cesse de fixer son œil, je suis attirée par ce bleu et je m'y accroche pour sortir de ce corps si douloureux. Elle m'a beaucoup aidée lorsqu'elle me remettait sur mon identité. Je ne me rappelle pas exactement ce qu'elle disait, j'ai seulement retenu que j'étais Amélie. Ca m'a permis de ne pas me laisser envahir par mes empreintes familiales (essentiellement ma mère) et d'agir en mon propre nom. Je me suis alors souvenue de tous les bons conseils de Christophe, thérapeute avec lequel j'ai fait un gros travail avant et pendant cette grossesse. Il est 19h15. Mes cris se transforment. Ils deviennent soudainement très graves. Ce cri long et grave pousse mon bébé vers l'extérieur. Cette poussée est merveilleuse. Ca y est, c'est le moment. Mais la sage femme me demande de ne pas pousser et d'aller dans la salle d'accouchement. A ce moment là, je panique et suis effrayée un court instant à l'idée de sortir ce petit bébé sans anesthésie. J'ai peur d'avoir mal. Je demande à la sage femme si l'anesthésiste arrive. Mais je n'ai pas de réponse. J'entends juste « ça va aller très vite maintenant ». Allongée sur cette table de torture, je ne sais comment faire pour pousser. La table est beaucoup plus haute que le lit et je ne peux plus m'appuyer sur Jean-Pierre et Geneviève pour libérer mon bassin. J'ai envie de m'accrocher à une barre mais rien de tout cela n'est prévu. Une autre sage femme me propose sa main. Mais je n'ai pas envie de donner la main, j'ai besoin de me suspendre. Les pieds dans les étriers, on me propose seulement de m'accrocher à mes cuisses. Quel inconfort ! Comment pousser dans une telle position. Je réalise que mon gynéco est en face de moi, il me dit de pousser, et que mon bébé est coincé entre mon coccyx et l'os du pubis. Il dit avoir été patient et que maintenant, ça fait plus de 6 ou 8 minutes qu'il est dans cette position et qu'il n'aime pas du tout. Je ne supporte pas ces mots négatifs. Je réponds avec une énergie qu'il n'est pas coincé, qu'il va bientôt sortir, qu'on me dise quoi faire, quand. Je ne sens plus rien, aucune douleur, aucune contraction (moi qui avait peur de souffrir sans péridurale). Alors comment pousser en même temps qu'une contraction arrive ? Jean-Pierre met sa tête tout contre la mienne, je sens bien que c'est difficile pour lui. L'émotion est à son maximum. Comme je suis fière et heureuse de sentir qu'il est toujours là près de moi. J'ai souvent été déçue dans ma vie par le manque de soutien des personnes qui m'étaient chères. Je pousse une troisième ou peut être une quatrième fois (je n'arrive pas à me souvenir, comme si j'étais sortie de mon corps quelques instants) très fort et le voilà, j'ouvre les yeux et ce petit ange est là, à moitié sorti de mon ventre. Je n'en reviens pas, ça y est, nous avons réussi. Jean-Pierre et moi avons mis au monde notre enfant ensemble à 19h53. Il est sur mon ventre et je n'arrête pas de dire "nous avons réussi" et je cherche Jean-Pierre du regard. J'admire ce petit être tout chaud. La sage femme lui masse le dos jusqu'à ce que l'on entende sa voix ; il émet un cri léger. Il est blotti, en boule contre moi. Le placenta sort rapidement. Le docteur C. me le montre avec la membrane pour m'expliquer le manque de place des bébés en fin de grossesse. Je me moque bien de tout ce qu'il peut dire, je viens de vivre la plus belle aventure de ma vie et la plus importante pour mon fils. Mon obstétricien me dit qu'il va faire une révision utérine. Je lui réponds avec énergie qu'il peut le faire s'il veut mais que c'est inutile. Je sais bien que tout va bien. Il conclut que la cicatrice de l'utérus est très solide. Mes autres bébés pourront naître par voie basse. Il me fait un point pour réparer une très légère déchirure.

Je ressens une force inébranlable en moi et une grande énergie. Je pourrais me lever immédiatement de cette table. Je propose d'ailleurs à Jean-Pierre de rentrer tranquillement à la maison à pied avec notre petit bonhomme dans les bras et faire un bon festin à la maison tout en admirant notre petit ange. Moi, ça m'a donné faim ! Alban est tout nu contre moi. Il n'arrive pas très bien à se réchauffer. Quel bonheur d'être en peau à peau et surtout quel accueil humain pour ce petit trésor ! Je ne vais pas réussir à dormir avant la fin de la nuit. Je suis tellement excitée. Je ressens d'ailleurs cette force très souvent au fond de moi. Cet accouchement était thérapeutique pour moi. Il m'a redonné confiance en moi et m'a montré une image très positive de la femme que je suis. Je ne suis plus poursuivie par les défauts de ma mère que je m'attribuais. Je suis enfin capable de vivre ma vie en tant qu'Amélie, d'affirmer mes désirs et mes choix. Je suis capable de dire non aux visites de ma famille (ma mère surtout) ; ma personnalité est plus affirmée. J'ai quitté ma peau d'animal domestique et soumis, pour me transformer en animal sauvage qui fait confiance en son instinct sans plus se poser de questions tellement je suis remplie de certitudes et de confiance en la vie.

Plusieurs personnes m'ont permis d'atteindre ce bien être. Tout d'abord, je remercie ma fille Eva. C'est grâce à elle que j'ai détecté l'importance de mon mal être. Sans elle, je n'aurai jamais entamé un travail psychologique si rapidement après sa naissance. Christophe, mon thérapeute, a su m'écouter et me guider dans ce travail. Un grand merci à Jean-Pierre qui partage ma vie depuis 9 ans. Bien qu'il ne soit pas toujours d'accord avec moi, sa tolérance m'a permis de mettre en place toutes ces actions (Lying, doula, sophrologie, projet de naissance...). Il a tout fait pour que mes désirs soient respectés. Je sais combien ça pouvait être difficile pour lui. Il n'est pas toujours très à l'aise avec les autres. Je l'ai trouvé très fort. Moi, je n'aurais pas pu demander tout ça. C'est grâce à lui que ça c'est passé de cette façon. De plus, mes cris l'ont éprouvé. Il ne voulait pas que j'accouche sans péridurale pour ne pas me voir souffrir. Il ne pensait pas pouvoir le supporter. Effectivement, je sentais bien que c'était difficile pour lui aussi. Et pourtant, il m'a soutenu tout le temps. Il a été surpris lorsque, après coup, je lui ai expliqué que je n'avais pas la sensation que mes cris étaient des cris de douleurs mais plutôt des cris liés à de l'énergie qui traversait mon corps, un peu comme dans les arts martiaux. C'était surtout frappant au moment de la descente du bébé où les cris sont devenus très graves. Je les sentais passer de mes poumons à mon plexus pour enfin pousser le bébé vers l'extérieur. La puissance de cette énergie est telle qu'il m'était impossible de le faire en silence. Le son était d'une force égale à l'énergie produite. Je remercie enfin Alban. Il m'a réconcilié avec la naissance et la vie.

Merci, merci, merci.