Amandine : naissance d'Arthur

Mon petit Arthur, mon premier bébé, était prévu pour le 26 septembre 2008. On faisait des paris avec ma cousine : ce petit sera balance ou vierge selon si monsieur se décide plus ou moins tôt… Et bien non, Arthur naîtra le 1er août, avec 2 mois d'avance et sera un lion…

Une grossesse idyllique, il n'y a pas d'autres mots… Je l'attendais depuis toujours, j'en profitais tant que je pouvais, j'étais heureuse, épanouie, certaine que tout allait bien se passer jusqu'à la fin. Je suivais 2 préparations à la naissance : une "classique" et de l'haptonomie et je devais commencer une préparation en piscine le 2 Août. J'en rêvais depuis le jour où je m'étais inscrite, à savoir celui de la première écho…

Et bien non, tout s'arrêtera donc ce matin du 1er août 2008 où je me réveille en rallant contre mon chat et où en me recouchant après être allée aux toilettes, je sens un liquide chaud couler entre mes jambes… Je pense que je perd les eaux (mon Dieu, non c'est bien trop tôt!) et j'allume la lumière : le cauchemar commence là, je baigne dans une mare de sang…

On file à la mater, je n'appelle pas le SAMU (j'ai hésité mais bon…), j'ai des contractions toutes les 2 min (je n'en avais aucune en me réveillant) et je sens bébé bouger. Beaucoup me diront : tu as du avoir peur! Mais pas tellement, je le sens bouger, je crois me souvenir que les hémorragies du troisième trimestre ne sont pas graves (mais d'où ai-je donc sorti cette idée stupide??!) et nous sommes vite arrivés.

On est reçu par une élève sage-femme, gentille mais quand elle me dit de faire pipi dans un gobelet, j'ai envie de crier, je saigne la rage bordel! Est-ce bien le moment de faire pipi dans un gobelet?? Je le fais quand même, je sais que c'est important, ils veulent vérifier les protéines… La sage femme arrive, je saigne toujours, ma tension est bonne. Elle m'examine : le sang vient de l'utérus… Oui, merci je m'en doutais un peu! Le col est fermé, le bébé est haut. Ah bon, je ne suis pas en travail? Pourtant, je contracte toujours beaucoup et ça fait mal d'ailleurs, ça fait aussi couler le sang… Elle met le capteur du monito : le bébé va bien, son cœur est ok. Bon, ben ça c'est une bonne nouvelle!

La gynéco arrive, elle me réexamine, confirme les dires de la sage femme et fait une écho : il y a bien un gros hématome. Elle me le montre : ah! Oui! Tout ça! Je n'ai aucun mal à le repérer, sa taille m'impressionne. Elle me dit qu'elle me garde, oui ça aussi je m'en doutais! C'est pas grave, je m'en moque, le bébé va bien! Je leur dit : c'est dommage, on a une semaine chargée à venir pour le bébé et puis je devais commencer la préparation en piscine le lendemain. J'attendais ça avec tellement d'impatience.

Je ne comprend pas leurs regards à cet instant, je plane alors que je continue de saigner, je ne vois pas les choses arriver, je ne devine rien… Et puis elle le prononce ce mot honni qui fera désormais que je ne serai plus jamais comme les autres femmes : CESARIENNE…

Il va falloir faire une césarienne… Je tombe de plusieurs étages, en tous cas, j'en ai l'impression… Je me dis "non pas pour un premier", je n'y crois pas et pourtant elle explique bien et je comprend immédiatement qu'aucune alternative n'est possible, que bébé va naître comme ça et pas dans 3 semaines, aujourd'hui, au mieux demain…

Elle m'explique qu'on va faire un bilan sanguin, me mettre en salle de travail et me surveiller, tenter d'arrêter les contractions qui ne sont pas un travail mais simplement une irritation liée à l'hématome. Je comprend, je sais, un travail c'est long et je ne peux pas continuer à saigner comme ça pendant plusieurs heures, bébé est haut, mon col est fermé, aucune chance!

Elle m'explique qu'on va essayer de gagner une journée pour administrer des corticoïdes au bébé pour maturer plus vite ses poumons qui sont limite à ce terme, mais qu'on ne prendra pas de risque parce que le terme est quand même sécurisant, on n'est pas à 6mois mais à 7, on est sorti de la grande prématurité. Il n'est pas prêt à sortir mais il est fini quand même, ça sera un peu plus dur mais il risque peu… Moi visiblement je risque beaucoup. C'est ce que je comprends en tous cas, surtout quand elle me dit qu'elle ne me transférera pas au CHU car je ne suis pas transportable sur le plan médical (de toutes façons, je ne veux pas) même si bébé est limite et qu'il aura peut-être besoin d'aller en pédiatrie. Elle me dit qu'il a une chance sur 2 de rester ici avec moi au kangourou (Tiens! L'unité kangourou… Ah oui! J'avais vu ça dans la présentation de la clinique, je ne m'y étais pas intéressée vraiment… Pas concernée…). Il y a peu un petit Lucas est né à 33semaines et il est resté avec sa maman.

On me transfère en salle de naissance et on me met le monito, j'ai la première injection de corticoïdes en intra-musculaire, ça fait très mal et ça se rajoute aux contractions. En plus je suis douillette! Quand je pense que j'ai songé un instant accoucher sans péri! Je crois que c'est en salle de naissance que j'ai pleuré pour la première fois sur ce désastre en cours… Je ne peux rien faire d'autre, je subis. Sylvain est là et je pense qu'il encaisse aussi mais je me souviens plus de ce qu'on a pu se dire à ce moment là. C'est pas juste, je veux pas, je veux que ça s'arrête, que mon placenta se recolle, je veux rentrer chez moi et aller demain à ma préparation en piscine… En plus on casse du carrelage à la maison, c'est le chantier, le maçon doit venir dans 10 jours poser le nouveau…

Et là, la culpabilité survient : j'en ai trop fait! J'étais très en forme et très active à la maison. J'ai trop forcé et voilà, j'ai décollé mon placenta! Je le dis, je demande si c'est ma faute, on me dit non. La gynéco revient ensuite et me confirme que non, je n'y suis pour rien, heureusement, on ne décolle pas son placenta en se baissant! Si encore j'étais tombée sur le ventre mais là non, vraiment, je ne dois pas penser ça, c'est faux! Bon, je les crois (merci!) et je n'aurai plus jamais de doutes à ce sujet, ils ont été convaincants, c'est bien, ça me fera ça de moins à digérer ensuite…

Je vois l'anesthésiste et la pédiatre très vite. On parle de l'allaitement brièvement : je dis que je veux allaiter, on me dit qu'on va me donner un tire-lait. Ça parait évident pour elle, pour moi, beaucoup moins! Une semaine avant, on plaisantait avec des mamans qui n'ont jamais utilisé leur tire-lait : ça fait vache à lait avait dit l'une d'elle… Comme l'insouciance est loin! Et puis est-ce qu'un allaitement démarre correctement après une césarienne? Pas très naturel comme naissance, les hormones ont-elles le temps de se mettre en place?? A cet instant, j'en doute!

La gynéco revient plus tard : "je viens vous dire ce qu'on va faire, j'ai le bilan".

Votre TP a baissé à 73% (il était à 100% à 6 mois) et on ne peut pas attendre, il faut faire la césarienne maintenant. Il est 8h et je ne comprend que trop bien : la coagulation périclite devant cet hématome que mon corps ne peut cicatriser, je suis en train de me mettre en CIVD, on ne peut pas attendre, ça ne va faire qu'empirer… Je sais ce que ça veut dire, je l'ai vu sur des patientes, c'est grave ou ça va le devenir, il faut y aller, aucun doute là-dessus, pardon mon bébé je ne voulais pas que tu commences comme ça, je voulais mieux pour toi, pour nous, tellement mieux…

Je demande pour avoir une rachi, en sachant qu'ils vont la refuser (à leur place, je pense que j'aurai fait la même chose), la gynéco va voir l'anesthésiste et me le confirme. Non, ça sera sous AG. J'ai pourtant eu une rachi avec un TP à 59% (pourquoi je ne leur dis pas à cet instant?), oui mais pas avec une CIVD, et puis peut-être a-t-il déjà baissé, comment savoir? Peut-être aurait-il pu quand même piquer, je ne sais pas, encore aujourd'hui, ce doute reste. Sans trop de regrets, je comprends sa décision et j'aurai sans doute pris la même en tant que médecin. En tant que mère, c'est une autre histoire…

On m'emmène au bloc, on me laisse mes lunettes pour le moment, ce que j'apprécie. Je sais ce que c'est que de partir au bloc en ne voyant rien, c'est horrible. On me retire juste ma chaîne autour du cou (ah! Ça veut dire qu'on va m'intuber je pense), j'ai un pincement au cœur : autour de mon cou, c'est mon trèfle à 4 feuilles porte bonheur qui me suit depuis ma première année de médecine et que je n'ai quasiment pas quitté depuis le début de ma grossesse. C'est stupide, je sais, mais j'aurai bien voulu le garder…

Sylvain nous suit, il s'arrête dans la salle à côté du bloc où Arthur (personne encore à part nous ne sait comment il s'appelle) sera amené sitôt la naissance puisque je serai endormie (pardon, mon bébé…). Je rentre dans le bloc, on m'explique qu'on m'anesthésiera au dernier moment pour que bébé ne subisse pas les effets des produits ou le moins possible. Au passage on m’explique que ça veut dire me poser la sonde urinaire avant l’anesthésie, ok, expliqué, on l’accepte volontiers. On m'installe, on prépare… La gynéco est là, me demande ce que je fais d'habitude pour me détendre, qu'on peut essayer de me faire une mini-séance de sophro express pour me détendre juste avant de m'endormir. Je lui souris pauvrement, ça va être difficile… Elle insiste : qu'est-ce que je fais chez moi pour me détendre?

Je dis :"Je prend un bain". Elle sourit, je crois, elle dit ok et elle transmet à l'anesthésiste puis elle va se préparer aussi je pense parce que je ne la vois plus. L'anesthésiste me demande si on peut retirer mes lunettes, je dis oui, il n'y a plus rien à voir, il me met un masque près du visage pour m'oxygéner mieux mais ne le pose pas contre ma bouche ou mon nez, il le laisse juste à côté. Il me parle, me dit de m'imaginer que je suis dans ma baignoire, que les bruits environnants (ce sont les instruments que l'on remue) sont les bruits de l'eau, je ne sais plus quoi d'autre… Toujours est-il que je l'écoute, que je sens à mon grand étonnement mes muscles se détendre, je me sens moins mal faute de pouvoir me sentir mieux… Comment pourrai-je vraiment lui en vouloir de ne pas avoir piqué de rachi, à cet homme qui prend le temps de me détendre en me parlant juste avant de pousser la seringue qui m'enverra chez Morphée et me privera de la naissance de mon bébé? Ce n'est pas un choix de convenance, je le sais bien, c'est un choix médical, peut-être trop prudent mais juste je pense.

Et puis rien ne va plus, ça chauffe puis ça me brûle au niveau de la vulve, que se passe-t-il? C'est seulement la bétadine alcoolisée qui coule, oui mais ça fait mal, je ne supporte pas, je me re-contracte. L'anesthésiste pousse la seringue : je sens un bourdonnement dans ma tête, elle va exploser, je reconnais les effets des produits anesthésiants, dans une seconde je vais dormir, je sombre…

 

Je me réveille, j'entends des voix, du bruit : "voulez-vous avoir votre bébé contre vous?" Je dis : "oui si c'est possible". Je n'ai pas encore ouvert les yeux. Mon bébé est donc là, il n'est pas parti au CHU, en tous cas, pas pour le moment. On me remet mes lunettes sans que j'ai besoin de demander quoi que ce soit (merci!) et on me pose Arthur sur la poitrine. Je ne le vois pas malgré mes lunettes, pas assez réveillée pour cela mais je le sens et lui aussi. Il gigote! Il est tout petit. Je ne sais pas s'il est tout nu ou s'il a juste une couche, il est là, Sylvain aussi. Visiblement on me dit qu'il a eu de l'oxygène sous pression, je connais, c'est bien, ce n'est pas invasif, il n'est pas intubé. Ils sont épatés quand je leur dit : "ah, vous lui avez fait de la VNI, c'est bien". Ouah! Elle nous sort le terme VNI (ventilation non invasive) à 1h de la césarienne! C'est que je suis médecin quand même, mais en ce moment je suis une maman dans les vapes avant tout…

Je demande s'ils l'ont pesé, on me dit pas encore, ce n'est pas sûr qu'il reste, il a besoin d'oxygène pour rester il faut qu'il puisse s'en passer. On ne sait pas. On reste un moment comme ça, je suis filmée même si je ne le sais pas, je reverrai tout ça ensuite, je ne me souviens pas de grand chose, hormis la pression du corps de mon bébé et de Sylvain qui me dit : il a les coudes pointus! Et je vérifie, oui c'est vrai, il a des tout petits coudes tout pointus!

On m'emmène en salle de réveil, combien de temps après je ne sais pas, longtemps je crois, j'ai pu profiter de ce temps qui ne m'a pas semblé trop court. Avant de laisser Arthur, je dis à Sylvain : "tu restes avec lui?", il me dit oui. Par contre en salle de réveil c'est long, l'infirmière ne veut pas que je remonte car la pompe à morphine ne fonctionne pas et elle met du temps à la réparer. C'est pas sa faute mais je lui en veux, j'ai hâte de remonter, je voudrai voir mon bébé car je ne l'ai pas vu, même si je l'ai eu contre moi, j'étais trop shootée…

Je remonte en unité kangourou : on me fait passer dans la salle technique où est Arthur pour ses soins : il est sous oxygène, perfusé et a une sonde gastrique. Ça ne m'impressionne pas, je suis contente de le voir immédiatement sans avoir eu besoin de demander (merci!) et puis on m'emmène dans ma chambre.

La sage-femme passe me voir et me fait une photo d'Arthur qu'elle imprime pour que j'ai sa photo dans ma chambre avant de l'avoir pour de vrai. (Nous avions bien notre appareil numérique mais comme d'habitude pas de batteries chargées…) Elle s'est appliquée, c'est une jolie photo. Elle s'appelle Caroline, c'est drôle, c'est le prénom féminin que nous avions choisi! Les pédiatres passent : Arthur va plutôt bien mais on ne peut pas le sevrer en oxygène pour le moment : il va devoir partir… On ne ramène près de lui et on le met en peau à peau pendant 2 heures avant son départ (merci!) puis le SAMU arrive et l'emmène après un dernier bisous.

Je ne souffre pas trop à cet instant de la séparation. J'ai pu nouer le contact avec lui, je suis contente de l'avoir eu en peau à peau longtemps et puis je m'accroche à l'idée qu'il ira sûrement bien très vite (la pédiatre m'a dit que certains bébés reviennent dès le lendemain). Je dis à la sage-femme : "je ne pourrai sûrement pas aller le voir demain.". Elle me dit que ce n'est pas impossible, qu'elle a déjà vu des mamans debout le lendemain de leur césarienne. Dans ma tête son "ce n'est pas impossible" devient instantanément "c'est possible", en gros ça ne dépend que de moi. Ça me plait, je sais que je peux!

Je réclame un tire-lait : il n'y en a plus dans l'unité, je m'inquiète, je voudrai commencer dès maintenant. On me rassure, elles vont aller en chercher un dans une autre unité. Ça y est, je l'ai, on m'explique comment ça marche. Je commence à stimuler, rien ne coule, à peine une goutte de colostrum qui pointe sur un des 2 mamelons. Ça m'inquiète un peu mais bon si tôt après la césar, ça doit être normal enfin j'espère…

La nuit se passe aussi correctement que possible : j'ai mal un peu bien sûr mais aux fesses surtout quand je suis sur le dos et du coup, je me tourne d'un côté puis de l'autre et ça, ça me fait mal à la cicatrice mais je vais doucement et ça soulage mes fesses! Je dors par intermittente, entre mes changements de positions et le brassard à tension qui gonfle toutes les heures et demie. J'essaye de ne pas trop appuyer sur la pompe à morphine, je veux absolument qu'on me retire la perf le lendemain sinon je ne pourrai pas aller voir Arthur. J'en prend le moins possible, on me donne aussi des anti-inflammatoires et du paracétamol dans la perf. J'ai des gaz, le transit doit être en train de se refaire…

Arthur reviendra finalement 5 jours plus tard près de moi et nous sommes restés 4 semaines en unité kangourou pour que monsieur apprenne à téter. Ce fut un enfer, vraiment! Je pleurais à chaque mise au sein. Il se débattait, prenait 2 succions puis lâchait, battait des mains, des pieds… J'avais l'impression de lui imposer quelque chose dont il ne voulait pas, de le faire juste pour moi parce que je ne pouvais pas en plus, rater mon allaitement… C'était tout ce qui me restait au milieu de ce désastre, de mes rêves brisés… Ce fut des heures et des heures de peau à peau que je n'ai jamais regretté, des journées à attendre le moment d'éveil adéquat à la mise au sein d'un bébé prématuré né sans réflexe de succion… Cela en valait la peine : après 3 semaines et demie et l'apparition des bouts de sein dans la bataille, Arthur devenait autonome pour s'alimenter. Il pesait 2.8kg quand nous sommes sortis et le reste de mon allaitement fut d'une simplicité incroyable grâce à ce tire-lait que j'avais si bien appris à manier, à mon corps défendant!

Ce petit monstre a grandit à une vitesse incroyable. A 9 mois, il avait rattrapé son retard d'éveil et de tonus et la pédiatre écrivait sur son carnet de santé : "développement parfait". Rien ne m'a jamais autant touché, j'en aurai pleuré… Il a refusé le sein à 5 mois et c'est certes un peu tristement que j'ai arrêté de l'allaiter mais j'étais aussi heureuse qu'il choisisse de lui-même…

Il n'existe aucune cause à cet hématome, je ne pouvais ni le prévoir ni l'empêcher. J'ai bénéficié des conditions optimales de prise en charge dans cette situation et toute l'équipe du début à la fin a été merveilleuse. Ça n'empêche pas de souffrir des mois plus tard de ces rêves brisés mais ça m'a permit de faire le lien avec mon bébé : au milieu du sang, de l'horreur, on s'est trouvé, je l'ai aimé dès la première seconde, il était mien… Bien sur, je rêve d'accoucher un jour par voie basse, je n'appellerai pas cette naissance un accouchement mais uniquement parce que je dormais car j'ai été traitée et mon bébé aussi avec tout le respect qu'on pouvait me donner. Cette histoire n'est pas belle mais c'est la mienne, la notre et aujourd'hui, enfin, j'arrive à en être fière…