Cécile : naissance de Baptiste

Je suis tombée enceinte au premier essai. Dès le début de ma grossesse, j'ai imaginé le jour de mon accouchement : début des contractions, départ précipité à la clinique, mon homme à côté de moi en salle de travail, les longues heures d'attente pour se préparer à la naissance, l'expulsion, la rencontre avec bébé, bébé sur le ventre, bébé au sein, pleurs des parents débordés par l'émotion. Bref, un schéma classique, un peu comme dans les films, certes, un peu trop idéalisé mais je m'étais toujours représenté mon accouchement ainsi. Grossesse assez difficile…

Jour J théorique : arrive le 4 janvier, date à laquelle mon petit garçon devait montrer le bout de son nez. Rien. Après des mois de contractions régulières (et de repos forcé) plus aucun signe annonciateur d'une future naissance. Monitoring normal. Col fermé. Je repars.

Jour J + 2 : je ne sens pas le bébé depuis 5 heures du matin. J'appelle la clinique et les SF me disent: venez c'est calme. Vous serez tranquille pour le monitoring. J'arrive à la maternité. Les SF me branchent le monitoring et j'attends. Quinze minutes après le début, une des SF arrive. Elle semble préoccupée. Je lui demande ce qu'il se passe et elle me répond que le monitoring n'est pas très bon car la fréquence cardiaque du bébé chute dès que j'ai une contraction (je ne sens pas les contractions qui sont totalement indolores). Elle décide d'appeler mon gynécologue. Il m'explique la même chose et me dit qu'on va me déclencher avec une perfusion d'ocytocine. Il me dit que si ça ne va pas mieux, il envisagera une césarienne. Césarienne : pour la 1ère fois de ma grossesse, ce mot résonne. Pourtant les SF en avaient un peu parlé aux cours d'accouchement mais je n'avais pas écouté grand chose, pas posé de questions. Pourquoi j'aurais une césarienne ?

On m'installe en salle de travail. Lumières tamisées, musique douce. Je suis heureuse et pas trop inquiète. Je sais que c'est lancé et que je verrai bientôt mon bébé. Mon homme était arrivé entre temps et on s'apprêtait à vivre le plus beau jour de notre vie.

Après une heure de perfusion, confirmation des anomalies du rythme cardiaque. Le médecin me dit qu'il attend encore un peu… Aucune modification du col. Toujours fermé et tonique. J'ai des contractions depuis plus d'une heure mais elles ne font pas mal. Quinze minutes après ces paroles, il rentre en trombe dans la salle de travail et me dit : « on vous monte au bloc en urgence pour une césarienne. Le rythme chute ». A cet instant, je crois que le monde s'est écroulé autour de moi. Je me suis mise à sangloter, un peu, puis beaucoup. Les larmes coulaient toute seules, je ne pouvais pas m'arrêter. La SF me disait de pleurer, que c'était normal. Je ne voulais pas de cette césarienne même si je savais pertinemment que c'était pour le bien de mon enfant (et le mien).

Les lumières tamisées ont fait place aux néons criards, la musique a été coupée, les gens s'activaient, parlaient fort. La SF m'a rasée en deux minutes, m'a mise la sonde urinaire à vif, a tout débranché les appareils et me voilà partie sur le lit dans les couloirs. Les néons défilaient à une vitesse folle au dessus de ma tête. On se serait cru dans la série «Urgences». J'arrive au bloc, on me pose les électrodes. Je vois mon gynécologue en train de s'habiller. Il ne dit rien mais me prend la main, me touche doucement les jambes. Il semble comprendre ma détresse. Il me regarde et moi je continue à pleurer. Je ne sais plus où je suis, ce qu'il m'arrive. Je suis ailleurs. L'anesthésiste finit de préparer son matériel et son assistant s'installe devant moi pour que je fasse le gros dos. Je ne sens rien. Mes jambes se paralysent d'un seul coup et on m'étend sur le lit. Ils me mettent le champ opératoire. J'ai envie de vomir . Mes larmes coulent toujours. Est ce que mon bébé va bien ? Est ce qu'il vit toujours ? Si oui, comment va t'il sortir ? Aura t'il des séquelles ?

Quelques instants après, mon gynécologue me dit qu'il le voit, il le sort. C'est un garçon. Je l'entends pleurer. Je lui demande si c'est bon signe. Il me dit oui. Mais il y a du méconium dans mon liquide amniotique donc il était temps qu'il sorte. Je lui demande de me faire une belle cicatrice… et trou noir.
Je reprends mes esprits en salle de réveil. Je ne sens toujours pas mes jambes. Il y a beaucoup de monde autour de moi. Personne ne me parle. Où est mon bébé ? Comment va t'il ? Que fait–il ? Etait–ce bien lui que j'ai entendu ? Où est mon homme ?

Je recommence à pleurer. Plus les minutes passent, plus j'ai mal au ventre. Je le touche. Il est plat. Je demande au surveillant où est mon bébé. Il me répond qu'il est à la pouponnière et que je l'ai vu. Mais non, je ne l'ai pas vu, personne ne m'a montré mon bébé. Mais si Madame, vous avez vu votre bébé. Je ne me rappelais de rien. Ils ont permis à mon homme de venir me voir deux minutes. Il m'a dit que Baptiste allait bien. Qu'il lui faisait quelques examens à cause du méconium. Deux ou trois reviendront positifs mais le dernier sera bon. On n'en parlera plus.

La douleur commençait à se réveiller. Doucement. Puis beaucoup. Je souffrais. Des sortes de contractions. Je demande au surveillant quelque chose. Il me met sous morphine. Je respire. J'ai la tête qui tourne mais je n'ai plus mal. Je redescends. J'arrive dans ma chambre et je vois un petit garçon avec mon homme. Je suis émue mais … ce n'est pas mon fils. Qui est ce petit bébé ?
Quelle horrible impression de se dire qu'on n'a pas accouché. Car c'est vraiment ça . Au delà de la douleur physique que j'ai ressentie les 48 heures après la naissance (contractions, cicatrice etc.) il y a aussi cette pensée qui ne vous lâche pas : je n'ai pas accouché. Mon homme a été exclu aussi. Tout s'est passé si vite.

Les trois premiers mois ont été une épreuve. Je suis fragile, certes. Mais je pense vraiment que la césarienne a été le mauvais commencement. J'ai mis des mois pour dire « mon fils ». L'allaitement a été un échec. Il ne grossissait pas. Pleurait sans cesse.

Aujourd'hui 5 mois après je vais mieux. Même si j'ai toujours autant de peine à raconter tout ça. Pour le moment, je n'envisage pas d'avoir d'autres enfants. Peut être que l'envie reviendra…

Mais j'aime mon fils plus que tout au monde. Je regrette de ne pas l'avoir eu contre moi dès les premières minutes de sa vie pour lui souhaiter la bienvenue…