Gérôme : naissance de Chloé

Césarienne : mes naissances volées.

Voilà plus de 5 ans que je suis père. Notons que je ne suis pas devenu père, on m'a rendu père en opérant ma femme. Mes enfants, mes trois merveilleuses filles, sont arrivées par césarienne.

Pour certains, la césarienne est la condition à la prochaine grande évolution de l'espèce humaine. En effet, notre crâne ne pourra grandir que s'il ne pose pas de problème à la naissance. Pour moi, on m'a privé du plus beau moment de la vie d'un homme, trois fois. Je n'ai même pas pu être dans la même salle que ma femme au moment de « l'extraction », deux fois sur les trois je n'étais même pas au même étage de l'hôpital.

Ma première erreur a été d'être jeune et confiant. Pour moi la naissance était et est toujours un événement logique inscrit dans la continuité de la vie. Oui mais c'est sans compter avec le milieu médical.

Pour ma première fille, tout était parfait, presque trop. Une grossesse sans accroc, à part une petite frayeur au début pour une toxoplasmose qui s'est avérée être antérieure au démarrage de celle-ci. Bref tout va bien jusqu'aux derniers jours. La pression monte, on se rend à la maternité tout les deux jours, on nous ment, on nous rend impatients, et ma petite femme en a marre. Elle en a marre d'être tripotée, dénudée, manipulée et maltraitée voire torturée.

La veille de la naissance, l'obstétricien fait un décollement des membranes sur un col presque totalement fermé, je ne suis qu'un homme mais je sais voir la douleur sur le visage des gens que j'aime et là, elle a eu très mal et longtemps. La manipulation a eu lieu dans un « placard à balai » et moi j'avais le nez sur l'orifice vaginal de ma femme. Je voyais un homme se contorsionner pour en atteindre le fond. Une fois fini, à peine un regard et il s'en va. Je vais donc récupérer les morceaux de femme qui sont encore sous le choc et la douleur et on rentre chez nous où elle aura mal jusqu'à la fin de la journée. Et là ce n'était rien en comparaison de la suite des évènements.

Le jour J on a eu droit à de l'attente pour rien, puis un petit coup de gel sur le col pour déclencher le travail, un faux travail bien sûr mais d'une telle violence que le corps n'a d'autre choix que de poursuivre jusqu'à la naissance de l'enfant. Là, la descente aux enfers commence. Je suis là, je ne peux rien faire. Ma moitié souffre sans savoir pourquoi, ça ne s'arrête pas, et c'est de plus en plus douloureux. Evidement l'équipe médicale ne peut rien faire pour ça. Pour foutre la merde ils sont là mais pour aider les gens à surmonter leurs erreurs il n'y a plus personne. Je crois aujourd'hui en écrivant ces lignes que le corps médical fait payer aux femmes d'être les seules à donner la vie vraiment, à n'avoir besoin de rien d'autre qu'elles-mêmes pour ça. Elles sont hors de contrôle et ça énerve la science.

Bref, après quelques heures ils me congédient : « vous ne pouvez rien faire de plus, il faut attendre ». Je vais donc chez mes parents où ils m'égueulent presque d'être parti. Je ne le savais pas encore mais ils avaient raison, je n'aurais jamais du partir, j'ai abandonné ma femme, je l'ai laissée dans les griffes d'une bête sauvage et sans pitié. Je repasse donc à la maternité avec comme d'habitude la peur de déranger (quel con !) et c'est ce que je fais d'ailleurs. Après ce passage éclair je rentre me reposer, peu de temps car la maternité me téléphone très vite pour me dire que la poche des eaux est rompue. Ce qu'ils ne me disent pas c'est qu'à cause de leur saleté de gel le bébé souffre et que par conséquent les eaux sont fortement teintées. Je prends la voiture et malgré les milliers de fois où j'ai dit que je ne conduirais pas comme un fou pour me rendre à la maternité, je conduis trop vite, on est en pleine nuit, 2h du mat je crois, je ne sais plus, et ma femme est en train d'accoucher sans moi.

J'arrive à la maternité et là rien, comme précédemment. Pas d'info, nous sommes seuls avec nos angoisses qui ne cessent de croître après chaque passage de la sage-femme. Elle vient, regarde le monito, prend un air inquiet et s'en va. Pour des jeunes primipares c'est extrêmement angoissant. Finalement le couperet tombe : notre bébé souffre et se fatigue, il faudra faire une césarienne en urgence, ils tirent l'obstétricien du lit tout en nous mettant la bonne couche de culpabilité qui va avec : « franchement les parents vous êtes pénibles de pondre vos mioches au milieu de la nuit, ça dérange les gens importants ».

Ils m'enlèvent ma femme, elle part au bloc à un autre étage pour se préparer. Elle est seule, elle doit paniquer, elle doit pleurer, elle souffre. Et moi je suis seul aussi, dans le minuscule hall d'entrée de la maternité en face des ascenseurs. Je vois donc arriver l'obstétricien, il appelle l'ascenseur et tout en défaisant son écharpe me dit : « dès que c'est fini, on vous LA descend ». On a passé neuf mois sans savoir le sexe de notre enfant pour pouvoir profiter totalement de la naissance, tout découvrir en même temps, ensemble. En l'espace d'une demi-heure j'apprends le sexe de mon enfant de la bouche d'un docteur, avant ma femme, loin d'elle ; je ne serai même pas là pour entendre le premier cri de ma fille. Je ne saurai pas ce que c'est qu'un bébé « sale ».

Et après une attente interminable, je vois arriver dans le hall d'entrée de la clinique une femme qui pousse une boite en plastique avec un truc habillé à l'intérieur. Je m'approche pour voir et tout en se dirigeant vers la pouponnière cette femme me dit que c'est une fille (forcément avec la couche c'est dur à voir). Voilà ma première rencontre avec ma fille aînée, je regarde une boîte dans laquelle elle se trouve. Je ne la touche pas, je ne la sens pas, je ne la ressens pas. Elle ressemble à sa mère, c'est incroyable. Je sais que je serais maladroit avec elle, que j'aurais peur de lui faire mal, mais en même temps je sais que sa place est dans mes bras. Et pourtant, cette femme ne s'est même pas arrêtée pour me présenter ma fille ou me laisser la découvrir. Elle fait son travail dans une routine triste et inhumaine. Je suis enrhumé, je ne pourrais donc pas entrer dans la pouponnière pour la voir habiller ma fille, je le savais et fait donc remarquer que je ne peux pas rentrer avec elle par respect pour tous ces bébés. Elle me répond que de tout façon je n'ai pas le droit d'entrer, malade ou non. Je n'ai pas le droit de m'occuper de mon enfant.

Je suis rapidement appelé pour remplir les papiers de routine et ils me remettent leurs documents officiels pour aller faire la déclaration en mairie. Je ne suis plus avec ma fille. En fait je n'ai fait que l'apercevoir au travers une plaque de plastique.

J'attends que ma femme redescende du bloc, le spectacle est terrible. Elle tremble, vomit, et veut tousser mais ne peut pas à cause de la douleur et de la gêne de la césarienne. Je ne peux même pas lui parler, la rassurer, la toucher, rien. Comme pour ma fille, elle n'est pas accessible, elle appartient à l'hôpital. On m'envoie donc chez moi me reposer. Je rentre chez mes parents (c'est plus court comme trajet), prends un rapide petit déjeuner en retenant mes larmes (de je ne sais quoi) et pars dormir d'un sommeil neutre sans rêve.

Je suis maintenant père, je ne le sais pas encore, mais la médecine a fait de moi un père, de la pire manière qu'il soit. Je n'ai rien vu, rien fait, on m'a dépossédé de tout en commençant par ma naissance. Le père que je suis est né de façon aseptisée, chirurgicale, mécanique. Ils m'ont parachuté père. Je sais aujourd'hui ce que c'est qu'être père mais je ne saurais jamais ce que ça fait que de devenir père. Je pleure presque à chaque fois que j'y pense. Je ne fuis pas mes torts mais mon manque de patience avec mes propres enfants n'est probablement pas un hasard, je ne sais pas d'où viennent mes enfants. Je ne les ai pas vu venir au monde et je n'en verrai probablement jamais arriver un.