Justine : naissance de Lison

J'ai eu une grossesse sans problème, à part une belle prise de poids, qui m'a valu quelques examens vers la fin de ma grossesse, mais sans résultats problématiques. Lison a toujours énormément bougé dans mon ventre, et m'empêchait de dormir, à me faire mal. Et puis il y a eu la canicule de l'été 2003, qui ma provoquée quelques contractions, et ma fait peur parce que je sentais moins ma fille bouger… Mais tout cela sans incidence particulière non plus. En octobre 2003, j'étais à 8 mois de grossesse. Sur les 2 dernières semaines, j'avais souvent des contractions, non douloureuses, mais régulières, et qui finissaient pas passer toute seule.

Les contractions ont commencé le jeudi 30 octobre au matin vers 9 h, mais pas franchement différentes que d'habitude, plus douloureuses, oui, mais gérables, toutes les dix minutes environ.

Après un bain et deux Spasphons inefficaces, nous nous sommes dirigés vers la maternité vers 17h.

On arrive à la maternité : "bonjour, c'est pour un accouchement", on rigole un peu avec la sage femme. Je n'ai pas beaucoup plus mal que tout à l'heure... Toucher vaginal: le col n'a pas bougé depuis mon dernier rendez-vous il y a 3 semaines : ouverture à 1 doigt, postérieur et un peu ramolli. Au monito on voit que les contractions ne sont pas encore très fortes. Deux heures plus tard, encore un toucher vaginal : toujours pareil... Nous décidons de rentrer chez nous pour attendre...

On commande une pizza, tranquilles devant la télé... Les contractions s'intensifient, et font de plus en plus mal. Je reprends un bain pour calmer la douleur, mais ça ne change pas grand chose : ça continue de s'amplifier.

A 1h de matin, j'ai vraiment trop mal, on repart à la maternité : je gère très difficilement et puis j'en ai marre de pas savoir si ça a bougé ou non. Arrivés là-bas, on me remet au monito (contractions à 3 minutes bien plus fortes) et on me fait un toucher vaginal. Verdict : ouverture à 1 doigt, postérieur et un peu ramolli. Je n'y crois pas, mais ça n'a pas bougé...

Toujours de plus en plus mal : on me propose le ballon... Ca me soulage au début, mais ça ne dure pas... On me propose alors la baignoire : C. m'arrose le ventre d'eau chaude à chaque contraction, mais c'est presque pire j'ai l'impression. La SF me soutient que je vais me sentir mieux, alors on continue, mais très vite, j'ai l'impression de n'avoir qu'une seule contraction interrompue et insoutenable : j'essaie de sortir de la baignoire mais j'ai si mal que je n'y arrive pas. Je finis par y arriver avec l'aide de C. et on retourne dans la salle de travail.

On me remet au monito, allongée sur le dos : à partir de ce moment là, je remarque qu'on vient vérifier mon monito très régulièrement, mais je n'y prête pas vraiment attention. Je voulais retenter le ballon, mais on me fait comprendre que ce n'est plus le moment... J'ai extrêmement mal, mais je ne demande pas la péri... Ce n'est pas que je n'en veux pas, mais je n'y pense simplement pas, et puis j'ai le pressentiment qu'il ne faut pas tant qu'on ne me dit pas : "ça y est, c'est parti".

C. est très bien : avant j'avais peur qu'il ne sache absolument pas gérer tout cela, et finalement, il est génial. Si je supporte la douleur c'est en partie grâce à lui : il m'aide à me concentrer pour bien respirer et me décontracter, à chaque contraction on se regarde dans les yeux, et on souffle ensemble.

Il est 5h du matin, on m'empêche de bouger, on me dit qu'il faut que je reste allongée sur le dos pour le monito. Quand j'ai le malheur de me tourner un peu, on me fait des réflexions. La sage-femme, qui voit que j'ai de plus en plus de mal à gérer la douleur, me propose une perf : pas de péri, juste de quoi me soulager un peu... Je ne sais ce qu'elle voulait me donner (et aujourd'hui encore je ne sais pas), mais je suis ok.

La sage-femme revient donc un peu plus tard avec de quoi me faire la perf : l'enfer. Elle n'arrive pas à trouver ma veine, elle me charcute... Finalement, au moment où elle réussit, je sens un craquement dans mon dos, comme si ma petite m'avait donné un coup, et puis tout à coup les grandes eaux... "Plus possible de faire de perf, désolée, vous avez perdu les eaux cette fois-ci"... Ca me soulage parce que je me dis que là, cette fois, ça veut dire que c'est vraiment la bonne : je vais accoucher... A ce moment, je ne vois toujours pas comment est le liquide (toujours ligotée au monito), et ni la sage-femme ni C. (qui de toute façon ne savait pas que ça devait être transparent) ne me font de remarque.

La sage-femme tente alors de me refaire un TV pour voir on en est, mais impossible de me toucher, ça me fait un mal de chien : la gynéco arrive à la rescousse, elle tente elle aussi mais ça me fait tellement mal... Elle demande de faire venir l'anesthésiste pour la péri, je n'ai même pas la force de me demander si je la veux ou non, je suis épuisée.

L'anesthésiste arrive à 5h et quelques et met un bon quart d'heure pour me la poser. Pendant cet épisode, comme j'ai dû m'asseoir pour la péri, je me rends compte que les eaux sont teintées : je pose tout de suite la question à la sage-femme qui me répond que ce n'est pas grave : je sais pourtant que ce n'est pas normal, mais elle est tellement rassurante que je la crois, et puis je n'en peux tellement plus... La péri est assez fortement dosée, j'ai du mal à sentir les contractions... La gynéco revient me faire un toucher vaginal : le col s'est ouvert d'un petit doigt supplémentaire.

La sage-femme revient de plus en plus et finit par me dire que le monito est quand même un peu inquiétant, elle ressort et revient plusieurs fois pour faire son rapport au gynéco à chaque fois... Elle finit par me regarder avec un sourire qui se veut rassurant, et me dit le plus doucement possible cette phrase qui résonne encore dans ma tête : "le coeur de votre bébé ralentit de plus en plus, il va falloir envisager la césarienne".

Tout s'écroule : j'avais envisagé toutes les possibilités, toutes les catastrophes, je m'étais préparée à une épisio gigantesque, mais jamais cette pensée ne m'a seulement effleurée : une césarienne... Je pleure toutes les larmes de mon corps, C. a l'air aussi ébranlé, il est très inquiet... La sage-femme regrette aussitôt ses paroles et me dit que ce n'est pas encore sûr, mais il y a aussi le liquide qui est teinté. Elle sort en parler au médecin, et je pleure.

La gynéco arrive, elle s'assoit au bord du lit, à la fois compatissante et ferme. Elle regarde le tracé du monito, elle m'explique qu'à chacune de mes contractions, le coeur de ma fille ralentit de plus en plus. Elle me dit qu'elle n'aura probablement pas le choix, mais qu'elle veut bien attendre encore un peu, pour voir ce qui se passe. Pendant une demi-heure, C. tente de me calmer, me dit que tout ira bien...

La sage-femme revient une fois, jette discrètement un coup d'oeil au monito, me sourit tristement, et sort. A 7h, la gynéco revient, s'assoit au bord du lit, réexamine le tracé du monito : dans la salle, il y a plus de monde qu'au début, mais je ne m'en souviens pas vraiment. La sage-femme qui me suit depuis le début, l'anesthésiste, une autre sage-femme, une infirmière je crois... Quelques secondes de silence, elle réfléchit, regarde à nouveau le monito et me dit : "cette fois, on n'a plus le choix, je suis désolée..." Je lui demande si je serai éveillée : "oui, et le papa pourra venir avec vous... Préparez-la pour le bloc." L'infirmière, contrairement à tous les autres membres de l'équipe jusque là, est très froide, et répond à peine à nos questions : elle me rase, et je me sens humiliée.

On m'emmène au bloc. Je suis nue, il fait très froid, je tremble, j'ai peur... Je vois des têtes se pencher sur moi : "bonjour, je suis Eric, je suis infirmier et c'est moi vais vous préparer", "bonjour, je suis infirmière et je vais assister le docteur pendant la césarienne", "bonjour..." mais je n'entends qu'à moitié...

On m'attache les bras en croix, l'anesthésiste est là, elle me parle, m'explique. Elle injecte une forte dose de péri, je commence à me sentir lourde, elle me pose beaucoup de question et tente de me rassurer tant qu'elle peut... Mes épaules tremblent à n'en plus finir, j'ai mal, je pleure, je me demande où est C., il n'est pas encore là, c'est tellement long... Le médecin arrive, elle me parle un peu, on tend un drap sous mon menton, C. arrive enfin, on lui dit de regarder le mur en passant près de moi, puis il s'assied près de moi me caresse le visage et me parle...

Ca commence... Je n'ai pas mal, mais je sens qu'on cherche à l'intérieur de moi, je n'arrive pas à me réjouir, j'ai peur, je pleure. On me demande de pousser, je crois même qu'on se moque de moi, alors je pousse un peu, pour faire plaisir à C. qui m'encourage, mais j'ai tellement l'impression qu'ils se moquent de moi..

Puis au milieu des voix qui se mêlent, j'entends vaguement des voix compter "1, 2, 3, 4, 5, et 6 ! ... et encore un ici!" L'anesthésiste se penche alors à nouveau sur moi et me dit : "on a eu raison et beaucoup de chance de faire cette césarienne : votre fille avait le cordon enroulé six fois autour du cou et 1 fois autour de l'épaule : c'est rare et elle n'aurait pas pu naître sans ça... Notez l'heure : 7h36... Comment s'appelle ce magnifique bébé ?" "Lison"… Mais je pleure.

Je l'entends à peine pousser un gémissement, des sanglots m'étranglent, ils l'emmènent un peu pour voir si tout va bien, je demande ce qu'il se passe, l'anesthésiste va voir et revient me rassurer… On me l'amène quelques minutes plus tard et la pose contre ma joue, elle me regarde sans rien dire, sans pleurer... Je pleure, je n'arrive pas à être vraiment heureuse, je m'en veux, mais j'ai si mal... C. sort avec elle, je suis jalouse, mais rassurée qu'elle ne parte pas seule...

On me recoud, j'ai si mal aux épaules, et des nausées... L'anesthésiste s'inquiète un peu, puis finalement me dit que je suis épuisée, une tension basse, et une grosse angoisse... Ca va passer... Au bout d'un temps interminable (une demie heure en fait), où on fouille dans mon ventre, où j'arrive à peine à respirer tellement on m'oppresse de l'intérieur, on me ramène enfin dans la salle de travail rejoindre C. et le bébé.

Une SF que je ne connais pas veut à tout prix me la poser sur le ventre, mais les nausées me reprennent, je n'en peux plus et la supplie de la reprendre : C. qui a compris que j'avais encore besoin d'un peu de temps la reprend aussitôt... Je les regarde tous les deux, et je m'endors quelques minutes. Puis je peux enfin la prendre sur moi, lui sourire, la découvrir : elle me regarde fixement... Mais j'ai déjà l'impression d'avoir raté sa venue au monde.

Le séjour à la maternité a été très dur, bien que l'équipe ait là aussi été géniale : je n'ai pas pu m'en occuper pendant les 6 premiers jours. On m'a fait comprendre (puéricultrices, infirmières, famille..) que je ne devais pas m'en occuper. Que je devais me reposer, que j'aurai bien le temps après… Et finalement tout cela m'arrange, même si cela fait mal encore aujourd'hui de l'avouer : ce bébé je n'arrive pas à le considérer comme le mien, comme celui qui était dans mon ventre… C'est C. qui la changeait, qui lui donnait le bain, et la nuit on me la prenait parce que j'étais « incapable » de m'en occuper seule… Je ne l'ai pas allaitée (par choix indépendant de la césa), et cela arrangeait tout le monde aussi, parce qu'on pouvait s'en occuper à ma place. Et j'ai laissé faire. Heureusement C. était là tous les jours, dès 9h et jusqu'à 21h, mais je pleurais souvent et souffrais beaucoup physiquement (on a dû me perfuser à la morphine pour cause d'intolérance aux anti-inflammatoires). Je l'ai vue nue pour la première fois alors qu'elle avait 5 jours déjà, et encore, parce que C., bien qu'on lui ait "interdit" de le faire, me l'a amenée nue pour que je puisse l'habiller moi-même après son bain.

Voilà... Ma césa n'a pas été abusive, elle a sauvé la vie de ma fille, et peut-être la mienne, l'équipe a été géniale, mon homme a été parfait, et je n'aurais pas voulu qu'il en soit autrement : je ne regrette en rien ma césa... Je sais par ailleurs que j‘ai eu beaucoup de chance non seulement que C. puisse venir avec moi au bloc, mais aussi que d'avoir pu être avec eux en salle de réveil. Mais j'ai souffert énormément. Beaucoup de gens m'en ont fait culpabiliser avec ce même genre de remarque : pour certains, c'est limite s'ils ne me font pas comprendre que de laisser entendre qu'une césarienne est dur à vivre, c'est comme dire que je n'aime pas ma fille, que je ne suis pas heureuse d'être mère.

Je n'ai pas su me l'avouer à l'époque, mais j'ai réagi très mal, j'ai pour ainsi dire refusé de vivre cette naissance, acceptant comme autant d'excuses les mauvais conseils qui me disaient que je n'étais pas en état de m'occuper de ma fille, de me lever, de la changer, etc. Je suis restée 8 jours à la maternité, et je n'ai pris ma fille dans ma chambre avec moi la nuit qu'au bout de 7 jours, pour la dernière nuit. Je n'ai pas non plus allaité ma fille, de toute façon je ne le voulais pas avant, mais encore moins après. Tout cela m'arrangeait bien, il faut le dire.

Plus tard, j'ai développé avec ma fille une relation très fusionnelle, ne pouvant la quitter, m'angoissant à l'extrême pour elle. Elle non plus ne supportait pas de me voir partir, ou simplement quitter la pièce, et ne supportait que mes bras, à peine ceux de son père.

Aujourd'hui, à 19 mois, nous avons toutes les deux fait un long chemin, et elle est aujourd'hui beaucoup plus ouverte aux autres, même si parfois les vieux réflexes nous reviennent à l'une comme à l'autre... Mais j'essaie de lui donner chaque jour de nouveaux repères, pour qu'elle puisse s'épanouir sans être complètement dépendante de moi.