Laure : naissance de Henri

J'ai eu une césarienne le 12 janvier 2000, pour un petit Pierre qui est en pleine forme. Elle était non prévue, mais après péridurale et ocytocines, le travail n'avançait pas et ils ont décidé de me faire une césarienne. J'ai réellement très mal vécu ça, et vous me comprenez certainement.  

J'ai accouché le 23 avril 2003 d'un petit Henri. Comme je n'ai pas de problème de bassin et que le bébé était estimé en poids à 3,4 ou 3,5 kg, plus petit que son frère né à 3,830 kg,  le staff médical et moi-même avons décidé pour le deuxième de tenter "l'accouchement par voie basse".

Dans la nuit du lundi 21 avril 2003 au mardi 22, j'ai eu beaucoup de contractions douloureuses (tout les quarts d'heure) mais ça n'accélérait pas. Le mardi, ça s'est calmé. Le mercredi  matin, 23 avril 2003, ça reprend. A 10h du matin, j'arrive à la maternité. J'étais à 3 jours du terme théorique, prévu le 26 avril.

Ils m'examinent, me disent que le travail a commencé (dilatation 2). Les contractions continuent toutes les 2-3 minutes. A 14 heures, péridurale posée, je commence à souffler. Le travail est très lent, mais pour moi, c'est comme un premier, je ne m'inquiète pas. D'autant plus que le monitoring du bébé est impeccable, il va très bien. Mon mari fait même des photos de moi sur la table de travail!

Et puis, en quelques minutes tout a basculé. A dilatation 8, le bébé a changé complètement de position, mon ventre s'est mis à ressembler à "Alien" et à me faire horriblement mal. L'équipe médicale est intervenue tout de suite : bloc opératoire.

Le toubib tâte pour trouver la tête du bébé que la sage-femme avait senti 2 minutes avant. Il dit "Mais où est-il ?". L'angoisse et la douleur m'étreignent tellement que je tremble sans pouvoir m'arrêter. Et j'ai froid, si froid ! Je sens encore mon bébé bouger. Ils ont commencé à m'ouvrir en urgence. Quelques minutes après, le bébé est sorti. Je ne le vois même pas. Je ne sais pas ce qui se passe, je suis terrorisée.

Ils m'expliquent très rapidement la situation : j'ai fait une déchirure utérine, enfin pas tout à fait : le bébé a fait une autocésarienne : il est sorti à l'intérieur de mon ventre par la cicatrice de la césarienne précédente. Comme il était très costaud finalement (3,930 kg et 54 cm), il est sorti entièrement de mon utérus dans mon péritoine. Il n'a pas fait de gros dégâts sur moi, mais quand il est sorti, l'utérus s'est rétracté, le placenta s'est décollé, il a manqué d'oxygène et a fait un arrêt cardiaque.

Ils l'ont réanimé, il vivait. Il était intubé, mais il vivait. J'ai pu le voir une minute avant qu'ils ne le transfèrent dans un autre hôpital spécialisé en réanimation néonatale. Nous avons échangé un regard fou d'amour, je lui disais que je l'aimais, qu'il avait sa place à la maison et dans nos coeurs, qu'il fallait qu'il s'accroche et que je viendrai le voir le plus vite possible. Je lui ai donné mon tee-shirt avec mon odeur pour tenter de garder ce lien tenu entre nous. C'est le seul regard que nous avons échangé. Ensuite, il n'a plus ouvert les yeux.

Je suis allée le voir en ambulance le surlendemain (le lendemain, je ne pouvais pas me lever après une telle opération). Il était très mal : 41,5° de température, gris et grelottant. Je pleurais toutes les larmes de mon corps. Le jour suivant, j'ai pu le prendre dans mes bras pendant une heure. Je savais qu'il était en train de mourir : je lui ai dit au revoir, mon bébé chéri, j'ai mal de te laisser partir, mais si c'est trop dur pour toi, envole-toi, ne souffre plus, je t'aime, mon bébé chéri. Son papa l'a tenu aussi dans les bras une heure, ainsi que sa grand-maman. Il n'avait plus de réactions à la lumière, ne régulait plus sa température tout seul, plus de tonus musculaire et pourtant, il ne voulait pas lâcher mon doigt ! J'ai dû partir car il devait avoir des soins et moi aussi. Il est mort une heure plus tard, samedi 26 avril 2003 à 14h23.

Je suis revenue tout de suite. Je l'ai pris dans mes bras, je l'ai lavé, habillé dans le beau pyjama que j'avais prévu pour la sortie de maternité. J'ai appelé mes parents, mes beaux parents et tous les six nous l'avons cajolé pendant deux heures. Il est parti ensuite au funérarium. Pierre a voulu voir son frère mort, nous l'avons amené et depuis il est soulagé. Ce n'est pas un bébé fantôme, c'est son petit frère et il l'a vu. Il lui a caressé les cheveux, les mains, il l'a embrassé. Nous l'avons enterré à la campagne, là où son papa et moi nous sommes mariés. La cérémonie était très émouvante, la famille et tous nos amis étaient là.

Physiquement, je me suis bien remise. J'ai eu une phlébite, donc je me suis fait des piqûres jusqu'à fin juillet. J'ai chopé une infection urinaire, mais avec 10 jours d'antibiotiques, c'est passé. J'ai eu une grosse cicatrice, le chirurgien m'a bien recousue (il m'a dit m'avoir fait l'équivalent d'une opération de péritonite, car Henri avec fait caca dans mon ventre, il fallait bien tout nettoyer et désinfecter). Sur le plan gynéco, on a pu envisager BB3 (et j'avoue, j'espère BB4) après un an pour que je me refasse des forces et que je fasse un deuil d'Henri qui ne laisse place à aucune confusion dans ma tête entre Henri et BB3.

Moralement, je vis un cauchemar. Je ne dis pas ça pour me faire plaindre : le risque était minime et malgré tout, je ne regrette pas d'avoir tenté le coup. Néanmoins, je voulais attirer votre attention sur les conséquences possibles d'une rupture utérine.

Bon, pour vous rassurer un petit peu, les facteurs qui ont probablement influencé la rupture utérine chez moi :

  • J'ai eu des contractions pendant 48 heures avant d'accoucher, plus ou moins fréquentes (tous les quarts d'heure) mais assez douloureuses
  • Je dilatais très lentement (accélération des contractions à 3 heures du matin, arrivée à la maternité à 10 heures dilatée seulement à 2, pose de la péridurale à dilatation 3 à 14 heures ensuite gain d'environ 1 cm par heure)
  • Premier bébé déjà gros (3.830 kg)
  • Perfusion d'ocytocine à partir de dilatation 6 pour accélérer le processus (Je sais maintenant que ça augmente d'un facteur 5 ou 6 le risque de rupture utérine)
  • Mauvaise estimation du poids du bébé à terme (estimé 3.400-3.500 kg il faisait finalement 3.930 kg pour 54 cm).

Voilà, tout le monde ne vit pas tous ces facteurs de risque (gros bébé, très long travail et ocytocines). Et comme vous toutes, je dis AVAC mais pas à tout prix. Mon but n'est pas de vous effrayer, je crois que vous l'avez compris.

Profitez bien de la vie, de vos enfants et prenez soin de vous.