Marie : naissance de son fils

Le projet d’accouchement à domicile était profondément ancré en moi aussi loin que mon désir de maternité. A mes yeux, c’est un rite de passage important et je souhaitais vivre pleinement ce moment.

Lorsque je suis tombée enceinte de mon ainé, à 25 ans, j’ai parlé de cette envie à ma famille. Tous les avis étaient contre : trop dangereux, tu ne sais pas à quoi t’attendre : accouche déjà une fois « normalement » (sous-entendu à l’hôpital), ensuite tu verras. J’en ai très peu parlé à mon conjoint dont la mère est décédée des suites de couches, je pensais que ce serait le dernier à me soutenir.

J’ai donc eu un accouchement hyper médicalisé : contractions régulières mais inefficaces pendant 24h puis déclenchement, péri posée trop tôt (2,5cm) et très forte. Je me suis laissé faire pour la pose et j’ai suivi les directives de la sage-femme, alors qu’une fois que je n’étais plus allongée et sanglée sur le dos, je gérais beaucoup mieux. En revanche, j’ai demandé de nombreuses fois à ce qu’on diminue la dose car j’étais coupée de toute sensation mais personne ne m’a écoutée. Arrivée à dilatation complète, un petit bourrelet de col gène l’engagement et bébé regarde en l’air. L’obstétricien tente forceps et spatules sans laisser le temps à bébé de descendre puis c’est directement une césarienne. La vraie douche froide.

Je mettrai des mois, pour ne pas dire des années à digérer cette naissance.

Le projet d’un deuxième murit au bout de 2 ans mais Dame Nature n’est pas d’accord avec cette planification. Il faudra 4 ans supplémentaires et des traitements en PMA pour accéder à cette seconde grossesse. À partir de là, je prends contact avec la sage-femme dont j’avais gardé précieusement les coordonnées en vue de mon projet d’AAD (accouchement à domicile). Elle est d’accord pour nous accompagner et nous la verrons tous les mois. Mon chéri vient à chaque rencontre se former sur son rôle propre lors de l’AAD. En parallèle, je suis aussi des cours de yoga prénataux et je fais quelques séances d’ostéopathie.

Le dernier mois, la sage-femme nous présente sa potentielle remplaçante si jamais elle n’est pas disponible le jour J, ce qui sera le cas et finalement c’était LA bonne personne pour nous.

Nous arrivons à quelques jours du terme. Je ne pensais pas aller jusqu’au bout et je ne souhaitais pas du tout accoucher le jour de mon anniversaire, étant déjà née le même jour que mon père, je n’avais pas envie de reproduire le même schéma. Je vais me coucher ce soir-là en me disant que c’est cool, j’ai passé cette date même si au final, je m’étais fait une raison. Un gros câlin, histoire de quand même continuer à faire mûrir le col et dodo. A 2h du matin, je me lève pour une pause pipi et je sens du liquide couler. J’allume la lumière : du sang. Sur le moment ça m’inquiète, j’avais retenu que le bouchon muqueux était plutôt marron-vert. Quelques minutes après, une première contraction me rassure. Ça a l’air d’être ça finalement. Je ne retourne pas me coucher et vais m’installer sur un matelas dans le salon. Je note les contractions, commence l’homéopathie toutes les 1/2h et essaye de somnoler entre chaque contraction, mais je suis trop excitée pour le moment. Au bout de 2h, je me lève et commence à préparer le salon : je pousse la table, plie les chaises, je descends à la cave chercher le matériel : piscine, pompes, draps, bâches, serviettes, alèses….

Les contractions se renforcent petit à petit. Je me mets sur mon ballon et m’étire à chaque fois, le reste du temps je me repose en posant ma tête sur le canapé et arrive à somnoler. A 6h, la fréquence se rapproche des 5min. J’envoie un texto à la sage-femme pour lui dire que ça commence et que je la tiens au courant. Je pense qu’elle ne le lira qu’à son réveil mais elle me répond « super » !

Je continue comme ça en attendant le réveil de mon chéri qui est d’habitude très matinal. 7h, 7h30, 8h… Monsieur dort toujours, mais là, je commence à avoir besoin d’aide donc je monte le réveiller. « Chéri je commence à avoir besoin de toi », « quoi ? » je répète et il saute du lit, enfile des vêtements au hasard et vient dans le salon. Il me demande s’il doit installer la piscine mais me parle au moment d’une contraction et a l’air surpris que je ne lui réponde pas tout de suite ! Il a besoin d’être dans l’action mais là je vis l’instant et j’ai besoin qu’il prenne le relais sur l’organisation et non qu’il attende mes directives. J’ai besoin de m’isoler donc je vais sous la douche. Le massage du jet d’eau très chaude sur mon ventre me fait beaucoup de bien mais le ballon d’eau se vide bien trop vite. Je sors et rejoins mon chéri qui va prendre le relais pour masser mon ventre au même endroit que le jet. Nous qui nous nous étions entrainés à des massages délicats dans le dos, c’est tout le contraire qui me soulage ! Nous passons une petite heure comme ça pendant laquelle mon chéri alterne entre préparation de la piscine (bâche, serviettes, gonflage et remplissage à l’aide d’un tuyau pour l’eau froide et des casseroles d’eau bouillantes puisque le cumulus est vide) et les massages jusqu’à ce que je prenne conscience qu’en fait, je ne suis plus à 5 minutes mais plutôt 3 voire moins.

Mon chéri me confirme cette impression. J’envoie un deuxième texto à la sage-femme en lui disant que j’ai envie qu’elle vienne. Elle me répond dans la foulée qu’elle sera là dans 40 minutes. Puis elle tente de nous recontacter mais on ne peut pas répondre car je suis en pleine contraction que je gère en m’étirant, en vocalisant et grâce aux massages plutôt musclés sur mon ventre. Mon chéri rappelle, la sagefemme lui dit qu’il serait peut-être temps de préparer la piscine, il lui répond que c’est en cours. Elle lui demande la fréquence des contractions et une autre se déclare à ce moment-là : 1minute 30. Elle est en chemin elle fait au plus vite !

Les choses s’accélèrent encore une fois. Notre fils aîné se réveille et vient nous rejoindre. Nous lui expliquons que le bébé va sortir et qu’il doit aller s’habiller et prendre ce qu’il veut emporter. Il n’est pas d’accord et veut rester. Nous avions envisagé cette option. Comme il est assez grand pour savoir ce qu’il veut nous acceptons à la condition qu’il soit habillé afin de pouvoir filer chez les voisins dès qu’il en ressent le besoin. Il s’exécute. Mon chéri lui fait son petit-déjeuner, interrompu toujours par le remplissage de la piscine et les massages. Le pauvre court partout. Je ne sais pas trop où j’en suis pour ma part. Je me laisse porter lors des contractions mais entre chaque je suis super lucide. Je me dis que vu la fréquence je suis presque au bout, naïve que je suis. Parfois mon chéri tarde à arriver et prend la contraction en route, ce qui ne me soulage presque pas du coup. Sans lui je ne gère pas aussi bien et pleure mais n’envisage pas une seconde de laisser tomber. Je m’attendais à craquer et pleurer parfois donc ça ne me fait pas peur. Mon loulou trop mignon essaye de remplacer son père mais ses petites mains froides sont une torture. Je ne lui dis pas et le remercie de son aide.

La sage femme arrive au milieu de cette danse. Elle m’invite à aller dans l’eau maintenant même si la température ne me donne pas envie. Elle a raison, les contractions s’espacent un peu. Je lui dis que je suis étonnée d’être aussi lucide et elle me répond que je suis au début ou au milieu de « la phase 2 », qu’à ce stade je pourrais tout aussi bien être à 4 comme à 8 cm. Moi qui pensait arriver au bout, je mets tout de suite cette phrase de côté et tente de ne pas y penser. Je gère maintenant les contractions à genoux. Les massages du ventre sont remplacés par des points de pression dans le bassin, je continue de vocaliser. Ça fait du bien, je gère bien, j’ai le temps de me reposer entre chaque, ce serait presque agréable.

Petit à petits la fréquence se raccourcit, les sensations sont plus fortes, je communique moins. La sage-femme m’examine, le col est très souple, à 8-9 mais avec un bourrelet. Elle me demande de me « verticaliser » à chaque contraction (à genoux, les bras en appui sur le bord de la piscine) et nous reprenons notre danse.

Puis, la sensation de poussée arrive, légère pour le moment mais bien présente. Le bourrelet de col est toujours là et à chaque poussée le bourrelet empêche le bébé de descendre : à chaque fois que la tête s’engage, le bourrelet gonfle et la fait remonter. La sage-femme va donc aider en poussant sur le bourrelet pour le glisser derrière la tête à chaque contraction. Après quelques poussées, la manipulation est un succès et bébé commence à descendre mais je sens qu’il appuie sur la symphyse pubienne. Je dis : « ce n’est pas bon, le bébé ne descend pas comme il faut, il faut que je change de position mais ça me fait mal autrement ». La sage-femme me dit de lui laisser quelques minutes pour qu’elle trouve une solution qui puisse me convenir tout en restant dans une position « confortable » pour moi. Elle me demande de rentrer mon ventre à chaque contraction pour faire basculer bébé vers l’arrière. Elle m’aide en soulevant mon ventre avec ses mains, pendant que mon chéri appuie sur les os de mon bassin pour les écarter un peu et laisser bébé s’engager. Je ne le sais pas encore mais on vient de commencer la partie sportive de l’accouchement.

Je suis de moins en moins lucide. Je fais ce qu’on me dit en suivant le rythme imposé par mon corps. J’entends et comprends tout ce qui se passe autour de moi mais je ne communique plus. Je fatigue à me redresser sur les genoux comme ça donc la sage-femme va me prendre sous les bras et me soulève le temps de la contraction. J’ai l’impression de lui faire un câlin et bêtement ça me rassure. Bébé est maintenant bien engagé donc mon chéri peut arrêter de manipuler mon bassin. Elle propose qu’il la remplace. Je réponds à chaque sollicitation par un « je ne sais pas je m’en fiche », quand je me donne la peine de répondre. Je suis partie loin de là, mon cerveau est en pause, je pousse à chaque contraction. Certaines poussées sont efficaces mais plus ça va plus, je fatigue et je désespère. Quand je ne prends pas la contraction au début je crie en même temps que je pousse, ce n’est pas du tout efficace, ça ne me soulage pas mais je ne contrôle pas.

Mon fils s’inquiète un peu des bruits que je fais mais la sage-femme est top. Elle lui explique tout. Elle lui avait demandé avant d’en arriver à cette phase de venir me faire un bisou et de ne revenir dans la pièce que quand elle lui dirait. Il obéit sans problème (avec un dessin animé !). Il me dira plus tard qu’il ne savait pas que je pouvais faire des bruits comme ça ! Et que j’ai été super courageuse car je n’ai presque pas pleuré !

Je ne sais pas combien de temps les poussées ont duré. Au moins 1h, il me semble. La tête est grosse et chaque fois qu’elle s’engage dans le vagin, elle repart en arrière comme un bouchon de champagne. Ça me rend dingue. Je crie lors d’une poussée « mais tu vas sortir oui !! » et parfois entre 2 poussées « je n’y arriverai jamais, il ne veut pas sortir, je suis trop fatiguée » etc… Mais je continue, je sais au fond de moi malgré ce que je dis que j’y suis presque et que oui il va sortir ce bébé !

La sage-femme me dit que c’est bien qu’il mette du temps, que ça préserve mon périnée. Elle me dit qu’elle sait que ça brûle mais c’est bien ce que je fais. À ce moment-là, je me contre-fiche de la brûlure, du moment que c'est efficace ! Mon chéri m’encourage, me dit que je fais du bon boulot, que c’est l’aboutissement d’années de préparation, que je tiens ma victoire etc… C’est si bon de l’entendre me soutenir comme ça…. Mon chéri craque : il a des crampes dans les jambes et n’arrive plus à me soutenir. Il change de position, je crois qu’il s’assoit sur la chaise. J’ai l’impression de lui grimper dessus tellement je m’accroche à lui. Allez savoir si ce changement d’inclinaison a joué (je suis à 4 pattes plus ou moins) mais je croise le regard de mon chéri au moment où la tête sort, je n’oublierai jamais son expression ! Je n’ai même pas senti la tête passer du coup ! La sage-femme dit « la vache il a une grosse tête » (38cm finalement). A la poussée suivante je sens une épaule puis le reste du coup qui glisse à l’extérieur de moi.

Le temps est suspendu, plus de douleurs, juste les cris et gargouillis de mon bébé. La sage-femme me demande de me redresser pour me le passer. Je suis un peu dans les vapes et cherche par où elle compte me le donner, alors que le cordon nous relie toujours ! Elle le passe entre mes jambes, sous l’eau, je le vois apparaître : il est grand, et chevelu contrairement à son frère tout chauve ! Et c’est un gros bébé, à vue de nez elle m’annonce 4kg. Pas loin, il fera 3,890 pour 55cm !

Je m’assois, enveloppe mon bébé dans une serviette et lui fais son tout premier câlin, les yeux dans les yeux, toujours relié par le cordon. Je voulais qu’on découvre le sexe en famille mais j’oublie complètement et glisse ma main entre ses jambes. Je dis à mon chéri « oh c’est un garçon, je suis désolée tu ne m’en veux pas ? » Merci les hormones de dire quelque chose d’aussi bête…. Je pensais que je pleurerai mais non, je suis juste dans l’observation de mon fils…. Mon chéri est dans un état second, impossible de savoir les sentiments qui le traversent….Je demande à la sage-femme de me confirmer qu’il n’y a pas de signe de trisomie, sujet qui me travaillait tout de même un peu malgré le DPNI rassurant. Elle vérifie les mains et les oreilles, tout va bien.

Mon chéri coupe le cordon puis les poussées reviennent vite pour expulser le placenta. La sage-femme voulait normalement que je sorte de l’eau pour la délivrance mais finalement je reste assise et il sort en 2 poussées. Des membranes restent accrochées donc elle est obligée d’aller les détacher en interne, je suis bien contente d’être encore dans l’eau chaude ! Mon chéri me propose de prendre le bébé mais je refuse de le lâcher. Ça me distrait des manipulations internes pas très sympathiques.

Finalement tout est bien expulsé, il est temps pour moi de sortir de l’eau. Bébé va faire du peau à peau avec son papa. Je me lève et fait une grosse crise de tétanie : ma mâchoire est verrouillée ! C’est très impressionnant de ne pas contrôler son corps… Sur les conseils de la sage femme, je respire calmement tandis qu’elle garde mes mains dans les siennes, ses yeux dans les mieux et ça passe.

Je m’allonge sur le matelas puis la sage-femme vérifie mon périnée pendant la première tétée qui va durer 1h. J’ai une éraillure et une petite déchirure. Elle me laisse le choix de faire 2 points mais je n’ai plus envie qu’on me touche. Elle n’est pas profonde et devrait pouvoir cicatriser seule. Je choisis de laisser la nature faire. Au bout de 2h, la sage-femme nous laisse, elle repassera tous les jours pendant 3 jours et à J6.

Mon ainé, après avoir fait connaissance avec son frère, part jouer chez les voisins. Je passerai la journée en peau-à-peau pendant que mon chéri nettoie et range toute la maison. Le bébé n’aura pas de nom de la journée. Nous prenons le temps de le découvrir. Finalement il sera « baptisé » le soir même avec mon prénom favori depuis des années, et plus le temps passe plus on se dit que c’était ce prénom et pas un autre qu’il lui fallait.

Petite anecdote pour conclure ce long récit : bébé est sorti de mon ventre à 12h05, le cordon sera coupé à 12h15. La sage-femme nous a laissé le choix de l’heure de naissance. En maternité, c’est l’heure de sortie qui compte. Mais symboliquement j’ai voulu qu’on choisisse le moment où le papa a coupé le cordon, qui est pour moi la vraie séparation avec la maman, la fin de la vie in utéro, et le premier geste du papa….