Sophie : naissance d'Emrys

 Quand j'ai su que j'attendais mon cinquième enfant, j'ai su aussi qu'il me faudrait faire un gros travail pour bien vivre cette nouvelle naissance. J'avais très mal vécu ma première césarienne (naissance de mon deuxième enfant) et en parler restait quelque chose de douloureux; j'avais très moyennement vécu les naissances suivantes me sentant à jamais une femme "différente", "qui avait un truc en moins". Sachant que les aménagements ne suffiraient pas à me sentir une femme à part entière, ne voulant pas non plus embarquer ma famille dans cette "quête" (parce que cela impliquait forcément des déplacements importants et un éloignement géographique en fin de grossesse), j'ai renoncé à chercher une équipe pour une tentative de voie basse après 3 césariennes, j'ai cherché une équipe à l'écoute de mes souhaits pour des aménagements de césarienne et me suis orientée vers une préparation "sur mesure" auprès d'une sage-femme avec pour axe principal l'aide de l'hypnose. Ces 9 mois ont été bien remplis, ponctués de nombreuses rencontres, d'espoirs et de doutes... et la date butoir pour la césarienne, à 13 jours du terme, est arrivée.

J-1: je rentre à la maternité; j'ai du mal à voir le verre à moitié plein... c'est la moitié vide qui hante mes pensées; je sais que j'ai fait un gros travail pour pouvoir vivre une jolie naissance et vivre cette césarienne telle que j'ai envie de vivre un accouchement mais le "fruit" de ce travail me paraît si incertain à ce moment-là.

JourJ: se mêlent joie et tristesse. Je connais déjà cet "étrange" sentiment et je refuse de nier cette tristesse; quand les soignants m'interrogent, je dis ouvertement mon ressenti, à savoir qu'il y a la joie de la rencontre mais une tristesse liée au fait que je n'arrive pas à me réjouir que cela se passe dans un bloc opératoire, que la "technique médicale" prenne trop de place à ce moment-là. Je me sens écoutée, pas jugée ; c'est déjà pas si mal.

Vers midi un brancardier vient me chercher. Je ressens un mélange d'appréhension et d'impatience. Nous arrivons aux portes des blocs et là, la cadre sage-femme nous annonce qu'il y a une césa en urgence et donc que la naissance d'Emrys est repoussée d'une heure environ. On me ramène en chambre. J'essaie de ne pas voir le négatif et comme cela fait déjà une demi-heure que je sens un peu de contractions, je me dis que peut-être c'est le tout début du travail, alors je "profite" de ces sensations. Qu'est-ce que je peux être maso quand même! Et puis je ne peux m'empêcher de penser à cette femme qui est au bloc à cette heure et qui probablement est moins préparée que moi à vivre une naissance au bloc.

Une heure et demi plus tard, alors que je contracte, semble-t-il régulièrement, le brancardier revient me chercher. David, mon mari, reste dans la chambre pour enfiler une tenue de bloc et attendre qu'on vienne le chercher. Moi, je suis assise au bloc ( pour la première fois, je me suis installée seule sur cette table d'opération et par la suite aussi, je vais remarquer que les soignants me "manipulent moins" que les autres fois, m'aident mais me laissent une grande "autonomie"). L'anesthésiste me dit qu'il ne mettra pas de morphine, car je pense y être intolérante. Par contre par trois fois il me pique et me rate! Je commence à penser au risque d'anesthésie générale et ai du mal à rester sereine. Finalement un confrère prend le relais et réussit du premier coup. Je retrouve un peu de confiance.

Les préparatifs commencent. Je demande à mettre une oreillette sous ma charlotte pour entrer en autohypnose mais j'attends que David soit à mes côtés pour "entrer dans ma bulle". David entre avec son appareil photo et montre à la cadre sage-femme comment l'utiliser car elle prendra des photos derrière le champ. Il met en marche mon lecteur mp3 et rapidement, grâce à l'entraînement, je me retrouve en ce lieu que j'ai choisi pour vivre la venue au monde de mon fils.

Donc me voilà en ce lieu où je me sens bien. Je sens la caresse du vent sur mon visage; j'entends les bruits de la nature ; je suis assise en tailleur dans les herbes hautes et sens l'herbe froissée sous mes cuisses ; il ne fait ni chaud, ni froid ; je me sens en communion avec la nature et sens mon corps travailler et "s'ouvrir" pour donner la vie ; je me sens sereine, forte et confiante, ancrée dans la terre qui semble me communiquer sa force . Soudain je me sens ballottée de tous côtés ; je comprends que plusieurs personnes au bloc me "secouent" pour "attraper" mon bébé ; je n'ai pas envie de sortir de mon état hypnotique et revenir au bloc à ce moment-là ; cela gâcherait tout! Je replonge dans mon lieu comme j'ai appris à le faire chaque fois que quelque chose m'a "distrait" et cela donne quelque chose d'assez rigolo. Je suis à présent debout, une personne derrière moi me soulève en me prenant sous les aisselles et m'invite à pousser ; je me sens légère et sais que bébé va arriver. A ce moment-là j'entends une voix d'abord lointaine puis plus proche qui vient du bloc et qui répète : "il faut penser à baisser le champ! " Je comprends qu'il est temps pour moi de revenir au bloc et d'ouvrir les yeux. J'ouvre les yeux, je vois le champs s'abaisser et vois la bouille de mon fils et son corps s'élever devant mes yeux. Des larmes de bonheur roulent sur mes joues.

Très vite la sage femme fait le tour du champ et me présente mon bébé. Elle le glisse sous la petite couette qu'elle a apportée. J'enlace mon bébé, je le respire. David est aussi ému que moi ; nous sommes sur un petit nuage.

Après la suture, il faut aller en salle de réveil. C'est le moment où je réalise qu'il y a du monde au bloc ; plusieurs soignants entrent et sortent et nous félicitent. Je sens une jolie émotion; le sentiment que tout le monde a vécu avec nous quelque chose de fort. (je précise que jusqu'alors, il n'y avait pas eu de peau à peau au bloc dans cette maternité). On confie Emrys à David, juste le temps de passer de la table d'opération à mon lit; une fois correctement installée, on me le redonne en peau-à-peau et c'est sur le trajet avant la salle de naissance, qu'il va chercher à téter et que je vais commencer à le mettre au sein. Il tétouille plus qu'il ne tète, mais je ne suis pas inquiète. En salle de naissance, David et moi restons une bonne partie du temps seuls et apprécions ce moment d'intimité. Seul bémol, la première heure, je vais vomir plusieurs fois... Visiblement je suis quand même malade sans morphine. La sage-femme me demande si je veux quelque chose ou non car elle sait que je ne veux pas me sentir "droguée". Je lui dis qu'on va attendre de voir. David me passe un haricot chaque fois que j'en ressens le besoin et finalement je profite quand même de ce peau-à-peau malgré les vomissements. Je me sens telle une femme qui vient d'accoucher; cela fait si longtemps que je n'ai pas ressenti cela. C'est émouvant , délicieux et "réparateur".

Après presque 3 heures de peau-à-peau, la sage femme effectue quelques soins et coupe le bout de cordon restant. Emrys n'a eu qu'une petite "toilette" de chat et ce sera moi qui ferai son premier bain 48 heures plus tard. Je retourne en chambre ; Emrys est toujours en peau-à-peau avec juste une couche. Ce coquin a d'ailleurs fait deux fois caca sur moi pendant ce long peau-à-peau. Je profite encore une demie-heure de ce moment magique puis demande à ce qu'il soit habillé.

Dans les jours qui ont suivi, en discutant avec les soignants qui nous avaient accompagnés le jour J, j'ai réalisé que tous étaient émus et contents. J'espère que les jours de doute, j'arriverai à repenser à cela et que cela m'aidera à relativiser les choses négatives que j'ai vécues et les choses que j'aurais aimé vivre et que je n'aurais pas vécues.