Stéphane : naissance de Nicolas

Dès le départ, j'ai un mauvais pressentiment. Cette idée de rendez-vous fixé comme une visite chez le dentiste, tel jour, telle heure, ça ne cadrait pas à l'idée qu'on se fait d'un accouchement (sauter dans la voiture, vite la valise, les contractions etc.). Et puis la semaine précédente avec les rendez-vous pour le monitoring, "non toujours rien, on attend encore un peu ou on vous déclenche mercredi,... bon d'accord on peut attendre jusqu'au vendredi mais pas plus tard". Bref, déjà du stress, de l'impatience, l'impression de se rendre à l'hôpital et pas à la maternité pour un heureux évènement.

L'accueil sur place a été très bon et la sage-femme était charmante. On a installé Caro sur le lit avec tous les tubes, les appareils et puis on attend. L'attente est longue, de temps en temps une sage-femme passe faire coucou, très gentille mais elle n'a pas que cela à faire. Quant à la dilatation, après un début normal, ça stagne. Nervosité, stress, impuissance, peur. J'ai peur des hôpitaux, parce que j'ai peur de la mort, et parce qu'il faut s'en remettre à d'autres et que je ne fais confiance qu'à très peu de personnes. J'ai peur pour Nico et pour Caro.

Pas question de se déplacer et cette perfusion qui n'arrête pas de sonner de façon intempestive. Rappeler la sage-femme, attente, elle bidouille la machine et ça repart. Dix minutes plus tard, la machine déconne à nouveau. Finalement c'est moi qui tripote les boutons pour la faire repartir. La fin de matinée approche, la dilatation ne se fait pas, je téléphone à ma mère, impression qu'elle ne trouve pas cela normal, elle me parle de césarienne et moi aussi je sens que ça ne va pas, que c'est en train de déraper. Je ne dis trop rien à Caro. La gynéco débarque et elle aussi malgré un langage très rassurant commence à effleurer le sujet de la césarienne. Je le sens mal, je connais trop cette façon de glisser une information dans un charabia médical entouré de paroles réconfortantes. Avec Caro, on en parle aussi, je tais mes doutes et j'essaye de lui faire voir tout le positif d'une telle intervention.

L'après-midi sera pareille à la matinée. Attente, stress, non dilatation, cette fois les sages-femmes parlent ouvertement de césa et un peu plus tard la gynéco confirme. "Il y a souffrance fœtale, c'est risqué pour le bébé d'attendre; une césarienne s'impose mais il ne faut pas avoir peur, en dix minutes tout sera fini, à partir de maintenant il n'y a plus aucun risque" Caro a pleuré, je la réconforte en disant que c'est mieux pour Nico et j'avoue que sur le moment je me sens presque soulagé. C'est bizarre mais on a tant attendu que enfin cette fois il va naître... alors que ce soit par césa ou autrement, moi, je m'en fiche, de toute façon je sentais bien que ça ne tournait pas rond.

A partir de ce moment, tout s'enchaîne. C'est moi qui pousse le lit de Caro jusqu'à la salle d'opération. Je lui dis courage et je vais attendre au bout du couloir dans une salle d'attente. Jusqu'à présent je n'ai pas montré ma peur car je voulais encourager Caro, mais là dans ce sous-sol lugubre, aux murs vert maladie, je sens qu'il s'agit d'une opération et là je stresse, je stresse très fort, peur de la mort, peur de l'inconnu, sensation que l'on opère ma femme et pas d'attendre l'évènement le plus important et le plus heureux de ma vie. Je me rends aux toilettes où je me passe de l'eau sur le visage, je me raisonne et c'est plus calme que je vais attendre, en feuilletant des revues vieilles de trois mois. J'avais quand même imaginé tenir la main de Caro (me la faire broyer quoi) pendant l'accouchement et là je suis seul dans un souterrain! Pas le temps de trop m'angoisser, une couveuse sort de la salle d'opération, et au fond de ce couloir, je sens qu'il s'agit de mon fils. J'ai envie de courir, de savoir si il va bien, si Caro va bien. Tout est ok, me dit-on et à partir de là les choses vont vraiment prendre bonne tournure. C'est moi qui ferai la toilette de Nico, couperai le cordon, l'habillerai... Je sens vraiment qu'il reconnaît ma voix et qu'il y a prise de contact entre nous. Je filme pour Caro mais pas trop car je ne veux pas me cacher dernière une caméra mais agir. Je retrouverai Caro un moment plus tard, la mine décomposée, pâle mais c'est tout fier que je lui déposerai Nicolas dans les bras. L' "avantage" d'une césarienne pour les pères c'est qu'ils sont beaucoup plus impliqués dès le départ. Caro reprendra des forces et c'est en famille que quelques jours plus tard nous rentrerons à la maison. A ce moment, nous sommes heureux, certes désolés de la césarienne mais satisfaits finalement que tout se soit "bien terminé".

Ce n'est que quelques mois plus tard que la cicatrice émotionnelle s'ouvrira. Il me faudra du temps pour me rendre compte de ce que cela signifie pour une femme, pour une mère de ne pas accoucher soi-même de son enfant.

Le temps a passé, Caro s'est documenté (à un tel point qu'elle est incollable sur le sujet) et nous avons pris conscience à quel point cet accouchement a été orienté vers une médicalisation outrancière. Caro s'est battue et même si à chaque fois il m'a fallu plus de temps pour accepter ces nouvelles idées, ces nouveaux concepts, c'est ensemble que nous avons préparé la venue de Lucie. Cette naissance, mais c'est une autre histoire, nous a comblé, et si elle ne les a pas effacés, elle a apaisé les souffrances, les regrets de cette césarienne mal vécue. La discussion sur divers forums et le soutien d'autres mamans ont apporté beaucoup à Caro et lui ont aussi permis de se ressaisir. C'est à son tour maintenant de tendre la main à d'autres mamans ou futures mamans et de les informer afin qu'elles soient actrices de leur accouchement et pas simples spectatrices. Je suis extrêmement fier de ma femme et du combat (le mot n'est pas trop fort) qu'elle a mené pour faire entendre ses idées. Elle n'est pas consciente de la force qu'elle a en elle, moi si... et je l'aime encore plus pour cela.