Pour schématiser, l'utérus peut être comparé à un oeuf : il se compose d'une membrane (la coquille) entourant un muscle (le blanc), le bébé dans son liquide amniotique étant à l'intérieur (à l'emplacement du jaune).
Lors d'un accouchement, le segment inférieur de l'utérus s'affine. Il est tout à fait possible que le muscle utérin s'écarte, l'utérus n'étant alors plus fermé que par la membrane : il s'agit d'une déhiscence du segment inférieur de l'utérus. Cela ne pose aucun problème grave, hormis le fait que le travail peut se trouver ralenti, conduisant à une césarienne pour arrêt du travail. Mais le plus souvent, l'accouchement se passe normalement, et l'éventuelle déhiscence n'est même pas détectée (elle n'est détectable qu'en pratiquant une révision utérine, geste qui ne se pratique pas sans bonne raison, par exemple en cas de saignement anormal). Il est également possible, bien que de manière extrêmement rare, que les membranes se rompent également.
Dans le cas de l'utérus cicatriciel, la ou les cicatrices précédentes gènent cet étirement du muscle : le tissu cicatriciel, très solide, ne s'étire pas, c'est donc aux tissus environnants de s'étirer plus. Ils sont donc soumis à une plus grande tension.
Si le muscle ne parvient pas à s'étirer et se déchire, mais que l'utérus reste fermé par la membrane, on parlera de déhiscence de la cicatrice, de désunion de la cicatrice, de pré-rupture ou de rupture incomplète (ces termes sont utilisés indifféremment).
Si le muscle et la membrane se déchirent, on parle de rupture utérine complète. Il est à noter qu'en général, une rupture complète ne se produit pas soudainement, alors que tout allait très bien jusque là : le plus souvent on aura d'abord constaté des symptômes de désunion (souffrance foetale, ralentissement du travail, douleur).
On associe le plus souvent "rupture utérine" à "accouchement par voie basse sur utérus cicatriciel". En réalité, les ruptures partielles ou complètes peuvent aussi se produire sur des utérus non cicatriciels, ou être détectées lors d'une césarienne itérative, ou se produire pendant la grossesse... 1 donne un taux de 0,08% de ruptures utérines, tous accouchements confondus.
Il est difficile de donner un chiffre tel que "les ruptures utérines se produisent statistiquement dans tant d'accouchements sur cent", car :
De manière générale, on parle dans la littérature d'un taux inférieur à 5 cas pour mille, lors d'une grossesse après une césarienne. Par exemple,3 donne 2,4 déhiscences et 2,4 ruptures pour mille accouchements après une césarienne, 4 donne 3,8 pour mille accouchements après une césarienne, 5donne 4 ruptures pour 1000 accouchements (hors déclenchements et utilisation d'ocytocine), et 6 donne 5,2 ruptures pour 1000 accouchements (hors déclenchements et utilisation d'ocytocine).
On peut par exemple comparer ce taux maximum de 0,5% de rupture utérine avec le chiffre suivant : en France, 7% des accouchements simples par voie basse se terminent par une césarienne en cours de travail. Il faut donc relativiser ce risque : il existe, mais n'est pas démesurément élevé par rapport aux autres risques d'une grossesse normale.
En prenant le problème à l'envers, un taux de 0,5% revient à dire que si on choisissait de pratiquer des césariennes itératives systématiques uniquement dans le but d'éviter la rupture utérine, on césariserait "inutilement" 199 femmes (avec les complications que cela comporte) pour éviter le cas de rupture qui se serait produit sur la 200ème.
La mortalité périnatale, due aux cas de rupture utérine, est de l'ordre de 0,014 % : c'est-à-dire que parmi les ruptures utérines, seule une partie aura des conséquences graves (6% d'après). En prenant ce chiffre à l'envers, il signifie qu'il faudrait pratiquer 7142 césariennes pour sauver un bébé. En comparaison, en France, la mortalité périnatale toutes causes confondues est de 0,65% . On peut aussi comparer ce chiffre au taux de 0,5% d'hématome rétro-placentaire 7, urgence absolue nécessitant un déclenchement rapide ou à défaut une césarienne pour tenter de sauver le foetus. Le décès du foetus par suite d'une rupture utérine est donc certes un risque, mais n'est pas le risque majeur de votre accouchement.
En effet, la rupture peut avoir différents niveaux de gravité :
C'est surtout dans ces deux derniers cas que la rupture utérine peut avoir des conséquences graves sur le bébé (conséquences neurologiques, décès), expérience terrible bien sûr, mais rare.
Il faut noter que les complications d'une rupture diminuent si l'équipe qui vous entoure peut pratiquer une césarienne d'urgence très rapidement. [bib11439945][/bib] note que pour les ruptures se produisant aux Etats-Unis dans un hôpital pratiquant plus de 3000 accouchements par an, le taux de décès périnatal est trois fois plus faible que dans un hôpital pratiquant moins de 3000 accouchements par an.
Les études (pour la plupart américaines) ne déplorent que très rarement de décès maternel, la plupart des études n'en rapportant aucun. Ce qui ne signifie pas qu'une rupture utérine soit sans conséquences : la mère peut avoir besoin de recevoir une transfusion sanguine importante, et parfois l'ablation de l'utérus sera nécessaire s'il est impossible d'arrêter l'hémorragie ou de réparer l'utérus (3,4 / 10000 d'après8).
Dès lors la rupture utérine est associée à une morbidité maternelle sévère de l’ordre de 15 %9 . A noter : la morbidité observée lors d’une rupture utérine après césarienne paraît cependant moins sévère que celle observée lors d’une rupture utérine sur utérus sain.
Notons que le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire de décembre 2006 s'intéresse aux causes de décès maternel en France, et signale environ 2 décès maternels par an consécutifs à une rupture utérine. L'équipe s'est également intéressée au caractère évitable ou non de ces décès mais aucune précision n'est donnée sur l'évitabilité de ces décès particuliers. De même, il n'est pas précisé si ces ruptures utérine sont consécutives à un AVAC ou non.
En ce qui concerne les grossesses ultérieures après une rupture utérine nécessitant réparation chirurgicale, le manque de données ne permet pas aux professionnels de santé de contre-indiquer une grossesse après la survenue d’une rupture utérine. Pour le CNGOF, 10, "en cas de nouvelle grossesse, les patientes doivent être clairement informées du risque de récidive de rupture utérine et une CPAC est recommandée. La date de réalisation de la césarienne doit être décidée au cas par cas".
Le CNGOF 11 énonce qu'"une suspicion de déhiscence utérine asymptomatique lors d’une révision utérine après AVAC ne nécessite pas de correction chirurgicale. Dans ce cas, les données de la littérature ne permettent pas d’émettre de recommandation sur les modalités de l’accouchement de la grossesse suivante".
La mesure échographique de l'épaisseur de la cicatrice est parfois utilisée par les gynécologues mais cette technique doit encore faire ses preuves. La mesure effectuée est la mesure de l'épaisseur du segment inférieur de l'utérus, et là encore, il n'existe pas de données de comparaison avec les primipares ou les femmes n'ayant jamais eu de césarienne.
Si l'épaisseur du segment inférieur semble en effet lié statistiquement au nombre de déhiscences ou ruptures, il n'existe pas de seuil net en-dessous duquel la rupture serait quasi-certaine. On sait simplement déterminer un seuil au dessus duquel la rupture est rarissime.
Par exemple, 12 trouve que le risque de déhiscence diminue nettement si la cicatrice mesure plus de 1,6mm (mesuré par échographie vaginale) entre la 37eme et la 40eme semaine. Mais l'utilisation du critère de "moins de 1.6mm" pour imposer une césarienne itérative génèrerait encore beaucoup de césariennes inutiles, car une grande proportion des accouchements de ce groupe se sont déroulés sans rupture.
De même, 13 propose une limite de 3,5mm (mesuré par échographie abdominale), au dessus de laquelle le risque de rupture / déhiscence est nul. Les auteurs proposent d'interpréter ce chiffre non pas comme une interdiction à l'AVAC pour les patientes ayant moins de 3,5mm, mais comme une incitation pour les hopitaux ayant une politique de césarienne itérative systématique, à tout de même proposer l'AVAC pour les patientes ayant une cicatrice de plus de 3,5mm.
Notons que ces deux études n'utilisent pas la même technique (echographie vaginale ou abdominale) et ne mesurent pas exactement la même chose (muscle seul, ou muscle et tissus environnants), ce qui explique la différence de valeur limite (1,6mm ou 3,5mm).
Les symptômes suivants doivent faire penser à un début de rupture :
La tocométrie interne sera parfois proposée pour surveiller l'intensité des contractions. Il s'agit de placer les capteurs du monitoring non pas sur votre ventre, mais directement à l'intérieur de l'utérus, une fois la poche des eaux rompue. Cette méthode possède l'inconvénient de réduire la mobilité de la mère, ce qui peut conduire à un ralentissement du travail. Le gain en terme de prédiction de la rupture n'est pas avéré.
Selon le CNGOF15, "les signes évocateurs de rupture utérine les plus fréquemment rapportés sont les anomalies du rythme cardiaque fœtal associées ou non à une douleur pelvienne, d’apparition brutale et secondaire. Mais ils ont une faible valeur diagnostique. Les capteurs de pression intra-utérine ne permettent pas d’anticiper le diagnostic de rupture utérine".
De nombreuses publications se sont interessées au taux de rupture utérine après plusieurs césariennes.
Les études anciennes trouvent une augmentation du risque de rupture utérine après plusieurs césariennes : 16 parle d'un risque multiplié par 5 (période 1984-1996), 17 trouve un taux multiplié par 3 (période 1983-1992).
En revanche, les publications récentes ne retrouvent pas un sur-risque aussi important.
Recommandations dans le monde :
En France, le CNGOF 21 et la HAS 22 préconisent une tentative de voie basse en cas d'utérus bicicatriciel mais préconisent une césarienne itérative programmée en cas d'antécédent de trois césariennes et plus.
Au Canada, la SOGC indique (23, § 13) qu'un AVA2C (accouchement vaginal après deux césariennes) réussira probablement, même si le risque de rupture est plus élevé.
Aux Etats-Unis, l'ACOG a révisé sa position en 2010 24 et l'AVA2C n'est plus contre-indiqué.
Il n'est pas facile de savoir ce qui augmente ou limite le risque de rupture. En effet la rupture utérine est une complication rare de l’AVAC (0,5%), qui lui-même n'est pas souvent autorisé par les maternités. Or, pour obtenir des statistiques significatives, il faudrait disposer d’un grand échantillon de ruptures, ce qui n’est pas le cas : par exemple l'étude 25 portant sur 35000 AVACs ne se base au final que sur 124 ruptures, ce qui est insuffisant pour en tirer des certitudes.
Recommandations dans le monde
Au Canada, la SOGC (Society of Obstetricians and Gynaecologists of Canada) ne déconseille pas l'essai de travail en cas de macrosomie soupçonnée (43, § 16) ou de naissances multiples (§ 14)
Au Canada, la SOGC (Society of Obstetricians and Gynaecologists of Canada) ne déconseille pas l'usage d'ocytocine pendant le travail. (57, § 8).
Toutes ces informations se ramènent au final à ceci : le risque est faible mais il n'existe pas de moyen de l'annuler totalement, et en cas de rupture utérine grave, seule la rapidité d'intervention permet de sauver le foetus. Pour autant, il ne faut pas croire que la césarienne itérative est la solution absolue au problème : certes, elle prévient la morbidité / mortalité foetale due à une rupture utérine massive, mais elle cause d'autres problèmes de morbidité maternelle (une césarienne étant une opération chirurgicale avec ses propres complications) ou foetale (détresse respiratoire notamment). Le choix éclairé appartient à chaque couple.
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